Citation

With this proof about even perfect numbers, Euler finished the work begun by Euclid so long before. Their joint result – a collaboration spanning two millennia – should rightly be called the « Euclid-Euler Theorem ». This name, to be sure, has an alphabetical appeal to it, but it also hyphenates two of the greatest names from the history of mathematics. It is as thought Sophocles and Shakespeare had jointly written a play or Phidias and Michelangelo had jointly carved a statue.

 

Of course no book contrains such a play, and no museum holds such a statue. But the Euclid-Euler Theorem exists, a timeless monument to its two brilliant creators. In all of mathematics, there is nothing quite like it.

 

-William Dunham dans Euler : The master of us all à propos des travaux d’Euler sur les nombres parfaits

Reconstruire le carré

Les quatre points \(A\), \(B\), \(C\) et \(D\) suivants appartiennent aux quatre côtés d’un carré.  Il faut reconstruire le carré à la règle et au compas.

Cela semble beaucoup plus facile que ça l’est en réalité.  Avant de continuer, je vous encourage à essayer par vous-même.

Examinons premièrement deux de ces points, par exemple les points \(A\) et \(B\).  Un peu de géométrie élémentaire nous permet de déduire que le sommet K du carré est forcément sur le cercle de diamètre \(\overline{AB}\) (de centre \(E\), tel qu’illustré ci-dessous).

Il faut donc trouver \(K\) sur ce cercle.  Approfondissant notre exploration, on trace la perpendiculaire à \(\overline{AB}\) passant par \(E\).  Cette perpendiculaire coupe le cercle en \(G\) (de l’autre côté de \(\overline{AB}\) que \(K\)).  Traçons \(GK\).

L’angle au centre \(BEG\) et l’angle inscrit \(BKG\) interceptent le même arc \(BG\).  La mesure de l’angle au centre \(BEG\) étant \(90^{\circ}\), on en déduit que la mesure de l’angle inscrit \(BKG\) est de \(45^{\circ}\).  La même remarque s’applique aux angles au centre \(AEG\) et inscrit \(AKG\).  \(K\) est le sommet recherché et la droite \(GK\) est la bissectrice de l’angle droit \(AKB\).  La droite \(GK\) supporte donc la diagonale du carré.

Il ne reste qu’à appliquer ces considérations à notre figure initiale.

À partir des quatre points initiaux, on trace les cercles de diamètre \(\overline{AB}\) et de centre \(E\) et de diamètre \(\overline{CD}\) et de centre \(F\).

On trace ensuite les perpendiculaires à \(\overline{AB}\) par \(E\) et à \(\overline{CD}\) par \(F\).  Ces perpendiculaires coupent les cercles respectivement en \(H\) et \(G\) et en \(I\) et \(J\) (tel qu’illustré ci-dessous).

On choisit ensuite deux de ces points de telle sorte que la droite qui passe par ces points coupe les cercles à deux autres endroits.  Dans notre exemple, on choisit les points \(G\) et \(I\) puisque la droite \(GI\) coupe les deux cercles à deux autres endroits, respectivement en \(K\) et \(L\).  Nous avons vu que la droite \(GK\) supportait une diagonale du carré et, dans l’autre cercle, la droite \(IL\) supportait aussi une diagonale du carré.  L’astuce est ici de faire coïncider ces deux diagonales qui ne sont en effet qu’une seule : la droite \(KL\) supporte une des deux diagonales du carré… et \(K\) et \(L\) sont deux sommets opposés du carré.

On trouve ensuite les deux autres sommets en traçant l’autre diagonale.

Voilà !

Ce qu’il y a de formidable, avec cette méthode, c’est que si l’on accepte que les points puissent se trouver sur les côtés ou sur les prolongement des côtés du carré, alors il devient toujours possible, à partir de quatre points quelconques, de reconstruire un carré.  Même dans les cas les moins intuitifs… Par exemple dans le triangle \(ABC\) ci-dessous avec le quatrième point \(D\) à l’intérieur du triangle, dont voici une solution possible

puis une autre avec les mêmes points

ou encore avec quatre points colinéaires !

Inspiré par : The Oral Exam

Le crible d’Euler

Le crible d’Érathostène est un procédé qui permet de trouver tous les nombres premiers inférieurs à un certain entier naturel \(N\).  C’est un algorithme simple et efficace.  Voici ce que le génie d’Euler fait d’un algorithme simple et efficace.

Considérez la fonction \(\zeta\) ci-dessus \[\zeta(s) = \sum_{n=1}^{\infty}\frac{1}{n^{s}}\]ou \[\zeta(s) = 1 + \frac{1}{2^{s}} + \frac{1}{3^{s}} + \frac{1}{4^{s}} + \frac{1}{5^{s}} + \frac{1}{6^{s}} + \frac{1}{7^{s}} + \frac{1}{8^{s}} + \frac{1}{9^{s}} + \frac{1}{10^{s}} + \frac{1}{11^{s}} + \frac{1}{12^{s}} + \, \dots\]On définit cette fonction pour tout \(s>1\).  En effet pour \(s=1\), on retrouve la série harmonique, divergente.  Pour des valeurs de \(s\) comprises strictement entre \(0\) et \(1\), en comparant la série précédente terme à terme  avec la série harmonique, on obtient des dénominateurs systématiquement plus petits, c’est-à-dire des fractions systématiquement plus grandes.  Il n’y a donc aucun doute que la série diverge lorsque s prend des valeurs strictement comprises entre \(0\) et \(1\).  Enfin, pour \(s=0\), on obtient \[\zeta(0) = 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + 1 + \, \dots\]qui diverge aussi.

Pour des valeurs de \(s\) plus grandes que \(1\), la série converge.  Euler a trouvé plusieurs valeurs exactes lorsque \(s\) est pair, notamment lorsque \(s=2\) (le problème de Bâle), et pour les \(s\) impairs il y a encore beaucoup de questions qui résistent à l’assaut des mathématiciens.  Or donc, en reprenant \[\zeta(s) = 1 + \frac{1}{2^{s}} + \frac{1}{3^{s}} + \frac{1}{4^{s}} + \frac{1}{5^{s}} + \frac{1}{6^{s}} + \frac{1}{7^{s}} + \frac{1}{8^{s}} + \frac{1}{9^{s}} + \frac{1}{10^{s}} + \frac{1}{11^{s}} + \frac{1}{12^{s}} + \, \dots \]on commence par multiplier chaque côté par \(\dfrac{1}{2^{s}}\) \[\left(\frac{1}{2^{s}}\right) \zeta(s) = \left(\frac{1}{2^{s}}\right)\left(1 + \frac{1}{2^{s}} + \frac{1}{3^{s}} + \frac{1}{4^{s}} + \frac{1}{5^{s}} + \frac{1}{6^{s}} + \frac{1}{7^{s}} + \frac{1}{8^{s}} + \frac{1}{9^{s}} + \frac{1}{10^{s}}+ \, \dots \right)\]ce qui fait en distribuant \[\left(\frac{1}{2^{s}}\right) \zeta(s) = \frac{1}{2^{s}} + \frac{1}{4^{s}} + \frac{1}{6^{s}} + \frac{1}{8^{s}} + \frac{1}{10^{s}} + \frac{1}{12^{s}} + \frac{1}{14^{s}} + \frac{1}{16^{s}} + \frac{1}{18^{s}} + \, \dots \]On soustrait le résultat précédent à \(\zeta(s)\) \[\zeta(s)-\left(\frac{1}{2^{s}}\right)\zeta(s) = 1 + \frac{1}{3^{s}} + \frac{1}{5^{s}} + \frac{1}{7^{s}} + \frac{1}{9^{s}} +\frac{1}{11^{s}} +  \frac{1}{13^{s}} + \frac{1}{15^{s}} + \frac{1}{17^{s}} + \frac{1}{19^{s}} + \, \dots \]ce qui fait après une mise en évidence simple à gauche\[\left(1-\frac{1}{2^{s}}\right)\zeta(s) = 1 + \frac{1}{3^{s}} + \frac{1}{5^{s}} + \frac{1}{7^{s}} + \frac{1}{9^{s}} +\frac{1}{11^{s}} +  \frac{1}{13^{s}} + \frac{1}{15^{s}} + \frac{1}{17^{s}} + \frac{1}{19^{s}} + \, \dots\]Remarquez les dénominateurs à droite : tous les multiples de \(2\) disparaissent.  On multiplie le résultat obtenu par \(\dfrac{1}{3^{s}}\) \[\left(\frac{1}{3^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{2^{s}}\right)\zeta(s) = \left(\frac{1}{3^{s}}\right)\left(1 + \frac{1}{3^{s}} + \frac{1}{5^{s}} + \frac{1}{7^{s}} + \frac{1}{9^{s}} + \frac{1}{11^{s}} + \frac{1}{13^{s}} + \frac{1}{15^{s}} + \frac{1}{17^{s}} +\, \dots \right)\]ce qui fait en distribuant\[\left(\frac{1}{3^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{2^{s}}\right)\zeta(s) = \frac{1}{3^{s}} + \frac{1}{9^{s}} + \frac{1}{15^{s}} + \frac{1}{21^{s}} + \frac{1}{27^{s}} +\frac{1}{33^{s}} +  \frac{1}{39^{s}} + \frac{1}{45^{s}} +\, \dots \]On soustrait ce nouveau résultat à\[\left(1-\frac{1}{2^{s}}\right)\zeta(s) = 1 + \frac{1}{3^{s}} + \frac{1}{5^{s}} + \frac{1}{7^{s}} + \frac{1}{9^{s}} +\frac{1}{11^{s}} + \frac{1}{13^{s}} + \frac{1}{15^{s}} + \frac{1}{17^{s}} + \frac{1}{19^{s}} + \, \dots\]afin d’obtenir\[\left(1-\frac{1}{2^{s}}\right)\zeta(s)-\left(\frac{1}{3^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{2^{s}}\right)\zeta(s)=1 + \frac{1}{5^{s}} + \frac{1}{7^{s}} + \frac{1}{11^{s}} + \frac{1}{13^{s}} + \frac{1}{17^{s}} + \, \dots \]Après mise en évidence simple, on a \[\left(1-\frac{1}{3^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{2^{s}}\right)\zeta(s) = 1+\frac{1}{5^{s}} + \frac{1}{7^{s}} + \frac{1}{11^{s}} + \frac{1}{13^{s}} + \frac{1}{17^{s}} + \frac{1}{19^{s}}+\frac{1}{23^{s}}+\, \dots\]On avait déjà éliminé tous les multiples de \(3\) qui sont aussi des multiples de \(2\) à la première étape.  Mais il restait les multiples de \(3\) non multiples de \(2\). Là on vient d’éliminer tous ces multiples.  Il ne reste aucun multiple de \(3\) aux dénominateurs, à droite.  Une régularité commence à apparaître : c’est le crible, version améliorée (puisqu’on élimine les nombres à éliminer qu’une seule fois).  On multiplie le résultat précédent par \(\dfrac{1}{5^{s}}\) \[\left(\frac{1}{5^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{3^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{2^{s}}\right)\zeta(s) = \left(\frac{1}{5^{s}}\right) \left(1+\frac{1}{5^{s}} + \frac{1}{7^{s}} + \frac{1}{11^{s}} + \frac{1}{13^{s}} + \frac{1}{17^{s}} + \frac{1}{19^{s}}+\, \dots\right)\]ce qui fait en distribuant \[\left(\frac{1}{5^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{3^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{2^{s}}\right)\zeta(s) = \frac{1}{5^{s}} + \frac{1}{25^{s}}+ \frac{1}{35^{s}} + \frac{1}{55^{s}} + \frac{1}{65^{s}} + \frac{1}{85^{s}} + \, \dots \]Encore une fois, on soustrait ce dernier résultat à \[\left(1-\frac{1}{3^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{2^{s}}\right)\zeta(s) = 1+\frac{1}{5^{s}} + \frac{1}{7^{s}} + \frac{1}{11^{s}} + \frac{1}{13^{s}} + \frac{1}{17^{s}} + \frac{1}{19^{s}}+\frac{1}{23^{s}}+\, \dots\]ce qui donne \begin{align*}\left(1-\frac{1}{3^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{2^{s}}\right)\zeta(s)-\left(\frac{1}{5^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{3^{s}}\right)\left(1- \frac{1}{2^{s}}\right)\zeta(s) &=\left(1-\frac{1}{5^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{3^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{2^{s}}\right)\zeta(s) \\ \\ &= 1 + \frac{1}{7^{s}} + \frac{1}{11^{s}} + \frac{1}{13^{s}} + \frac{1}{17^{s}} + \frac{1}{19^{s}} + \, \dots \end{align*}

Ainsi dans\[\left(1-\frac{1}{5^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{3^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{2^{s}}\right)\zeta(s) = 1+\frac{1}{7^{s}}+\frac{1}{11^{s}} + \frac{1}{13^{s}} + \frac{1}{17^{s}}+\frac{1}{19^{s}}+ \, \dots \]ous les multiples de \(5\) qui restaient aux dénominateurs, à droite, disparaissent.  À ce moment, dans une étape typiquement eulérienne, Euler explique : en continuant de la sorte aussi longtemps qu’il le faut, en passant tour à tour les nombres premiers, on arrive à \[\dots \, \left(1-\frac{1}{13^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{11^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{7^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{5^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{3^{s}}\right)\left(1-\frac{1}{2^{s}}\right)\zeta(s) = 1\]En isolant \(\zeta(s)\), il obtient \[\zeta(s) = \frac{1}{\left(1-\frac{1}{2^{n}}\right)\left(1-\frac{1}{3^{n}}\right)\left(1-\frac{1}{5^{n}}\right)\left(1-\frac{1}{7^{n}}\right)\left(1-\frac{1}{11^{n}}\right)\left(1-\frac{1}{13^{n}}\right) \, \dots}\]ou plus élégamment \[\zeta(s) = \frac{1}{1-\cfrac{1}{2^{s}}} \times \frac{1}{1-\cfrac{1}{3^{s}}} \times \frac{1}{1-\cfrac{1}{5^{s}}}\times \frac{1}{1-\cfrac{1}{7^{s}}} \times \frac{1}{1-\cfrac{1}{11^{s}}} \times \frac{1}{1-\cfrac{1}{13^{s}}} \times \, \dots \]Avec une notation plus concise, on peut même réécrire le résultat précédent comme ceci \[\zeta(s) = \left(1-2^{-s}\right)^{-1}\left(1-3^{-s}\right)^{-1}\left(1-5^{-s}\right)^{-1}\left(1-7^{-s}\right)^{-1}\left(1-11^{-s}\right)^{-1}\left(1-13^{-s}\right)^{-1} \, \dots \]ce qui donne \[\zeta(s) = \prod_{p}\left(1-p^{-s}\right)^{-1}\]un produit infini étendu à tous les nombres premiers \(p\).

En se rappelant aussi que \[\zeta(s) = \sum_{n=1}^{\infty}\frac{1}{n^{s}}\]on obtient cette jolie égalité\[\sum_{n=1}^{\infty}n^{-s} = \prod_{p}\left(1-p^{-s}\right)^{-1}\]une somme infinie à gauche et un produit infini à droite.