Petit exercice pour donner un peu de mal à votre enseignant de mathématiques au secondaire

Les enseignants de quatrième secondaire débutent souvent l’année avec le chapitre sur la factorisation. Voici une question sur laquelle je suis tombé en parcourant /r/learnmath :

Factorisez \[x^{4} + 4x^{2} + 16\]

Le polynôme a une allure parfaitement inoffensive, on peut le considérer comme un polynôme du deuxième degré en \(x^{2}\). La réponse attendue : on peut effectuer le changement de variable suivant\[y=x^{2}\]et factoriser le trinôme\[y^{2} + 4y + 16\]Or, le discriminant étant négatif \[\Delta=4^{2}-4(1)(16)<0\]ce dernier polynôme ne se factorise pas ! Oups ! Conclusion (erronée) : le polynôme du départ ne se factorise pas.

Le problème est que, dans les réels, il existe des facteurs « premiers » du premier et du deuxième degré. Ainsi, un polynôme de degré \(4\) peut posséder (distincts ou non) quatre facteurs du premier degré, deux facteurs du premier degré et un du deuxième ou deux facteurs du deuxième degré. C’est bien sûr le troisième cas qui nous intéresse ici et qui cause problème. Il est d’ailleurs facile de vérifier que\[x^{4} + 4x^{2} + 16 = (x^{2}-2x + 4)(x^{2} +2x + 4)\]Un produit de deux trinômes irréductibles ! Comment, alors, arriver à une telle conclusion ? Pour ce cas précis, on peut chercher à retrouver une différence de carrés. Et pour ce faire, on commence par « compléter le carré » en ajoutant un terme en \(x^{2}\). On obtient \[x^{4} \textcolor{Blue}{+ 8x^{2}} + 16\textcolor{Blue}{-8x^{2}} + 4x^{2}\]ce qui fait en factorisant le trinôme carré parfait\[\left(x^{2}+ 4\right)^{2}-\,4x^{2}\]Et voilà ! Le deuxième terme étant lui-même un carré \[\left(x^{2}+4\right)^{2}-\,\left(2x\right)^{2}\]on obtient une expression qui se factorise facilement\[\left(x^{2}-2x+4\right)\left(x^{2}+2x+4\right)\]À ce moment, le lecteur reste peut-être sur sa faim : ça semble trop beau, les coefficients ont dû être choisis exprès ! En partant de \[x^{4} + bx^{2} + c\]on peut vérifier les étapes suivantes \begin{align*}x^{4}+bx^{2}+c &=x^{4}+2\sqrt{c}\,x^{2}+c-2\sqrt{c}\,x^{2}+bx^{2} \\ \\ &=\left(x^{2} + \sqrt{c}\,\right)^{2}-\left(2\sqrt{c}-b\right)\,x^{2} \\ \\ &=\left(x^{2} + \sqrt{c}\,\right)^{2}-\left(\sqrt{2\sqrt{c}-b}\,x\right)^{2} \\ \\ &=\left(x^{2}-\sqrt{2\sqrt{c}-b}\,x+\sqrt{c}\,\right)\left(x^{2}+\sqrt{2\sqrt{c}-b}\,x+\sqrt{c}\,\right) \end{align*}qui mènent, toujours dans ce cas-ci, à la bonne factorisation.

En continuant la démarche de l’enseignant, et en prenant un petit détour par les complexes, il est aussi possible d’arriver à la factorisation demandée. Trouver les racines complexes d’un polynôme du quatrième degré est en général une tâche fort fastidieuse, mais dans le cas de polynôme du type\[x^{4}+4x^{2}+16\]c’est long mais plutôt facile. En changeant la variable\[y = x^{2}\]on obtient\[y^{2}+4y+16\]ce qui nous donne comme racines\[y=\frac{-4\pm\sqrt{-48}}{2}\]c’est-à-dire\begin{align*}y&=\frac{-4 \pm \sqrt{-48}}{2}\\ \\ &=\frac{-4\pm  \sqrt{16 \cdot 3 \cdot -1}}{2} \\ \\ &=\frac{-4\pm  4\sqrt{3}\,i}{2} \\ \\ &=-2 \pm 2\sqrt{3}\, i\end{align*}On obtient donc comme racines du polynôme initial \[x = \pm\sqrt{-2\pm 2\sqrt{3}\, i}\]En considérant la première de ces quatre racines\[x_{1}=\sqrt{-2 + 2\sqrt{3}\, i}\]et en posant\[x_{1}=\alpha+\beta i\]on obtient\[\alpha + \beta i = \sqrt{-2 + 2\sqrt{3}\, i}\]En élevant au carré on a \[\alpha^{2}\ – \ \beta^{2} + 2\alpha \beta i = -2 + \sqrt{3}\, i\]duquel on tire un système d’équations \begin{align*}\alpha^{2}-\beta^{2}&=-2 \\ \\ 2\alpha \beta &= 2\sqrt{3}\end{align*}qu’on peut réécrire comme\begin{align*}\alpha^{2}-\beta^{2}&=-2 \\ \\ \alpha^{2}\beta^{2}&=3\end{align*}et qui nous donne\begin{align*}\alpha^{2}&=1 \\ \\ \beta^{3}&=3\end{align*}On peut donc réécrire la première racine comme \[x_{1} = \sqrt{-2+2\sqrt{3}\, i} = 1 + \sqrt{3}\, i\]et de manière analogue, les trois autres racines \begin{align*}x_{2}&=\sqrt{-2-2\sqrt{3}\,i} = 1-\sqrt{3}\,i \\ \\ x_{3}&=-\sqrt{-2+2\sqrt{3}\,i}=-1-\sqrt{3}\,i \\ \\ x_{4}&=-\sqrt{-2-2\sqrt{3}\,i}=-1+\sqrt{3}\,i\end{align*}Ainsi, lorsqu’on factorise (dans les complexes) : \[x^{4}+4x^{2}+16 = (x-x_{1})(x-x_{2})(x-x_{3})(x-x_{4})\]et qu’on remarque que\begin{align*}x_{1}+x_{2}&=\left(1+\sqrt{3}\,i\right) + \left(1-\sqrt{3}\,i\right) =2 \\ \\ x_{1}x_{2}&= \left(1+\sqrt{3}\,i\right)\left(1-\sqrt{3}\,i\right) = 4 \\ \\ x_{3}+x_{4}&=\left(-1-\sqrt{3}\,i\right)+\left(-1+\sqrt{3}\,i\right)=-2 \\ \\ x_{3}x_{4} &= \left(-1-\sqrt{3}\,i\right)\left(-1+\sqrt{3}\,i\right) = 4\end{align*}on obtient, en réunissant les facteurs du premier degré deux à deux,\[(x-x_{1})(x-x_{2})(x-x_{3})(x-x_{4}) = \left(x^{2}-\left(x_{1}+x_{2}\right)x + x_{1}x_{2}\right)\left(x^{2}-\left(x_{3}+x_{4}\right)x+x_{3}x_{4}\right)\]c’est-à-dire le résultat recherché\[x^{4} + 4x^{2}+16 = \left(x^{2}-2x+4\right)\left(x^{2}+2x+4\right)\]

Monsieur, je n’ai pas mon rapporteur d’angle !

Tu as ta règle ? Alors pas de problème ! Sur chacun des côtés de l’angle, marque un trait à \(60\) millimètres du sommet. Mesure ensuite la distance en millimètres entre les traits et voilà ! Tu as (une approximation parfaitement acceptable de) la mesure de ton angle en degrés ! Génial ?thedudeminds_2013090303Pourquoi est-ce que ça fonctionne ? On considère un angle \(\alpha\) et on procède tel qu’indiqué. En marquant les côtés de l’angle à la même distance (ici, \(60\) millimètres), on dessine un triangle isocèle. Et comme c’est un triangle isocèle, la bissectrice de l’angle \(\alpha\) sera aussi une médiatrice.thedudeminds_2013090415Ainsi, en n’oubliant pas que \[1^{\circ} = \frac{\pi}{180}\]on observe la relation suivante dans les triangles rectangles formés par la bissectrice/médiatrice \[\sin\left(\frac{\pi}{180}\cdot \frac{\alpha}{2}\right) = \frac{\frac{s}{2}}{60}\]et dans laquelle \(\alpha\) est exprimé en degrés. De \[\sin\left(\frac{\pi}{360}\alpha\right) = \frac{s}{120}\]on utilise maintenant deux approximations si grossières qu’elles vous feront perdre, peut-être, tout espoir d’obtenir une expression utile au final. Et pourtant ! D’abord, pour de petits angles (exprimés en radian), on a \[\sin\left(\theta\right) \approx \theta\]ce qui donne comme première approximation \[\frac{\pi}{360} \approx \frac{s}{120}\]et en utilisant (ma parole !) \[\pi \approx 3\]on obtient ensuite \[\frac{3}{360} \alpha \approx \frac{s}{120}\]C’est donc avec un certain scepticisme qu’on retrouve effectivement \[\alpha \approx s\]Est-ce que l’approximation est fiable ? Le graphique suivant montre la relation entre \(\alpha\) (abscisses) et \(\alpha-s\) (ordonnées).

thedudeminds_2013090301On remarque que pour des angles entre \(0^{\circ}\) et (environ) \(75^{\circ}\), l’erreur est de moins de \(2^{\circ}\). Pas mal ! Après \(75^{\circ}\), ça se gâte un peu, et l’erreur culmine avec un maximum d’environ \(5^{\circ}\) lorsque l’angle est près d’un angle droit. Cependant, toutes proportions gardées, l’erreur de \(5^{\circ}\) reste quand même relativement petite pour cette approximation très économique.

On peut se demander si \(60\) a quelque chose de particulier, s’il existe des mesures qui donnent de meilleures approximations. En marquant l’angle à \(62\) millimètres au lieu de \(60\), on semble améliorer les choses : on s’assure que l’erreur maximale ne dépasse pas environ \(2,\!4^{\circ}\) (au lieu d’un peu plus de \(5^{\circ}\) comme c’est le cas ici avec \(60\) millimètres). Bien que \(62\) millimètres offrent une meilleure garantie sur l’erreur maximale (qu’importe l’angle, c’est moins de \(2,\!4^{\circ}\)), on se rend compte que la plupart des angles sont moins précis en utilisant cette mesure. En d’autres mots, avec \(62\) millimètres, l’erreur maximale est plus petite mais l’erreur moyenne est plus grande. En fait, la mesure qui offre la plus petite erreur moyenne est… \(60\) millimètres. Excellent.

En gardant notre mesure de \(60\) millimètres pour minimiser l’erreur moyenne, peut-on améliorer notre approximation sans trop compliquer les choses ? Kowalski [1], dans son article, propose d’utiliser une règle simple : en bas de \(60^{\circ}\), on soustrait \(1\), en haut de \(60^{\circ}\) on ajoute \(2,\!5\). \[\text{Approx} =\begin{cases} s-1 & \text{ si   } \alpha<60^{\circ} \\ s & \text{ si   } \alpha = 60^{\circ} \\ s+2,\!5 & \text{ si   } \alpha>60^{\circ}\end{cases}\]

thedudeminds_2013090302

En bleu, α – s avec ajustement.

Référence : [1] Travis Kowalski, College Mathematics Journal, Volume 39, Number 4, September 2008 , pp. 273-279

Un peu d’humour

Le regretté Samuel L. Greitzer détestait, apparament, ce qu’on appelle les « mathématiques modernes ». Il était farouchement opposé à l’idée d’inclure dans les olympiades mathématiques des problèmes de menteurs et diseurs de vérité (liars and truthtellers), de diagrammes de Venn ou d’arithmétique dans des bases autres que la base 10. Son ami Stanley Rabinowitz lui proposa donc, à la blague, ce problème :

Alice et Bob vivent tous les deux dans la petite principauté de Binuméria. Les habitants de Binuméria parlent tous exclusivement le français et disent tous la vérité, toujours. Cependant, ils utilisent deux systèmes de numération et, traditionnellement, lorsqu’ils parlent, les habitants de Binuméria ne changent jamais de base de numération dans une même phrase. Alice dit : « Je suis une grande adepte de la base 10 et je ne parle que dans cette base. Dans la principauté de Binuméria, 26 personnes savent compter en base 10 et seulement 22 personnes savent compter en base 14 ». Bob ajoute ensuite : « Des 25 résidents de la principauté, 13 sont numériquement bilingues et 1 seul ne sait compter, il est numériquement analphabète ». Combien de personnes vivent dans la principauté de Binuméria ?

Voyons voir. Bien sûr, Alice ne parle probablement pas en base dix (notre bonne vieille base décimale) parce que, rappelez-vous, toutes les bases sont des bases 10.

base10

Ainsi, si la base d’Alice est \(a\), alors il y a\[2a+6\]personnes qui peuvent compter, comme elle, en base \(a\). Il y a aussi \[2a + 2\]personnes qui savent compter dans l’autre base, disons la base \(b\). Or, comme Alice dit : « la base 14 », et que le « 14 » est exprimé en base \(a\), on trouve que la base \(b\) correspond en fait à \[a + 4\]Bob parle dans cette autre base, puisqu’il dit qu’il y a « 25 » résidents au total, alors qu’Alice comptait déjà « 26 » personnes et ça, rien que pour sa propre base. On déduit même que la base qu’utilise Bob est plus grande que celle d’Alice. Ainsi Bob utilise la base \[b = a + 4\]Toujours selon Bob, il y a \begin{align*}2b+5&=2(a+4)+5\\ \\ &=2a+13\end{align*}résidents au total et de ce nombre,\begin{align*}b+3&=(a+4)+3 \\ \\ &=a+7\end{align*}sont bilingues. On a donc d’abordthedudeminds_2013082606

Il reste\[2a+6-(a+7)=a-1\]personnes parlant exclusivement en base \(a\) et de la même manière\[2a + 2-(a+7)=a-5\]personnes parlant exclusivement en base \(b\).thedudeminds_2013082609On peut donc trouver la valeur de \(a\) en faisant la somme des habitants de Binuméria à partir des différentes régions du diagramme de Venn ci-dessus\[(a-1)+(a+7)+(a-5)+1=3a+2\]Cette expression représente le même nombre que le total déjà annoncé par Bob \[3a + 2 = 2a + 13\]ce qui nous donne la base d’Alice \[a = 11\]et aussi la base de Bob\begin{align*}b&=a+4 \\ \\ &=11+4 \\ \\ &=15\end{align*}On peut enfin répondre à la question ! Il y a \[2(11)+13=2(15)+5 =35\]personnes qui vivent à Binuméria !

Référence : Joseph D. E. Konhauser, Dan Velleman, Stan Wagon, (1996) Which Way Did the Bicycle Go?