Lost in translation…

En français, on dit que le nombre \(0\) est un nombre (le seul) à la fois positif et négatif. On appelle \(\{0,\ 1,\ 2,\ 3,\ 4,\ \dots\ \}\) l’ensemble des entiers positifs et \(\{\ \dots \ ,\ -4,\ -3,\ -2,\ -1,\ 0\}\) l’ensemble des entiers négatifs. Les francophones ont un mot pour exclure le \(0\) de ces ensembles : l’adverbe strictement. L’ensemble des entiers strictement positifs correspond à \(\{1,\  2,\  3,\ 4,\ \dots\ \}\) et l’ensemble des entiers strictement négatifs correspond à \(\{\ \dots\ ,\ -4,\ -3,\ -2,\ -1\}\).

Il y a chez les anglophones une différence fondamentale par  au français en ce qui concerne les mots « positif » et « négatif » que l’on pourrait traduire erronément par positive et negative . En anglais, le nombre zéro est un nombre (le seul) qui n’est ni « positif » ni « négatif ». En anglais, donc, l’ensemble des positive integers correspond à \(\{1,\ 2,\ 3,\ 4,\ \dots\ \}\), sans le zéro, et l’ensemble des negative integers correspond à \(\{\ \dots\ ,\ -4,\ -3,\ -2,\ -1\}\), sans le zéro. Et à l’instar des francophones, les anglophones ont des mots pour exclure inclure le zéro : puisqu’il n’est ni positif ni négatif, on appelle l’ensemble \(\{0,\ 1,\ 2,\ 3,\ 4,\ \dots\ \}\) celui des non-negative integers et l’ensemble \(\{\ \dots\ ,\ -4,\ -3,\ -2,\ -1, \ 0\}\) celui des non-positive integers. Il faut donc traduire « positif » par non-negative et « négatif » par non-positive.

La prudence est donc de mise lorsqu’on lit un texte mathématique dans une autre langue : les énoncés

Soit \(x\) un nombre réel positif

et

Let \(x\) be a positive real number

n’ont pas la même signification ! Je ne sais pas d’où vient cette différence. Je ne sais pas non plus ce qu’il en est dans d’autres langues. Par exemple, dans quelles langues est-ce que zéro est considéré comme positif et négatif ? Comme ni l’un ni l’autre ?

PS. Il y a bien sûr plusieurs autres différences auxquelles on peut s’attarder, mais celle de la nature du zéro est particulièrement intéressante. Pour un francophone, il est facile de croire, à tort, que l’ensemble des non-negative integers correspond à \(\{1,\ 2,\ 3,\ 4,\ \dots\ \}\) puisque pour lui, zéro est aussi négatif

Petit truc ingénieux…

… pour trouver le nombre de diviseurs d’un nombre sans les compter un à un. C’est une question qui m’a été posée sur les forums cette semaine et qui m’a rappelé ce petit truc que je trouvais bien astucieux.

 Combien de diviseurs possède le nombre 16200 ?

On trouve d’abord la décomposition en facteurs premiers de \(16\,200\)\[ 16\,200 =\, 2^{3}\, \cdot \, 3^{4}\,  \cdot \, 5^{2} \]Un nombre qui divise \(16\,200\) aura dans ses facteurs premiers que des facteurs \(2\) (en au plus trois exemplaires), que des facteurs \(3\) (en au plus quatre exemplaires) et que des facteurs \(5\) (en au plus deux exemplaires). Par exemple,\[54 = \, 2^1 \, \cdot\,  3^3\]est un diviseur de \(16\,200\). Il ne possède pas de facteur premier \(5\), mais ce n’est pas grave. On pourrait même écrire, puisque \(5^0 = 1\),\[54 = \, 2^1 \, \cdot \, 3^3 \, \cdot \, 5^0\]En revanche, les nombres\[4\,860 = \, 2^2 \, \cdot \, 3^5 \, \cdot \, 5^1\]et\[588 = \, 2^2 \, \cdot \, 3^1 \, \cdot \, 7^2\]ne sont pas des diviseurs de \(16\,200\). Le premier possède un facteur \(3\) en trop et le deuxième possède un facteur premier, \(7\), qui ne se trouve pas dans les facteurs premiers de \(16\,200\). Tous les diviseurs de \(16\,200\) sont donc de cette forme\[2^{\alpha}\, \cdot \, 3^{\beta} \, \cdot \, 5^{\gamma}\]

où \(\alpha\) peut prendre l’une des valeurs suivantes : \(0\), \(1\), \(2\) ou \(3\)

où \(\beta\) peut prendre l’une des valeurs suivantes : \(0\), \(1\), \(2\), \(3\) ou \(4\)

où \(\gamma\) peut prendre l’une des valeurs suivantes : \(0\), \(1\) ou \(2\).

Nous avons donc quatre possibilités pour \(\alpha\), cinq possibilités pour \(\beta\) et trois possibilités pour \(\gamma\). Il y a donc\[4 \, \cdot\,  5 \, \cdot 3 \, = 60\]possibilités au total. Le nombre \(16\,200\) compte \(60\) diviseurs. Notons au passage que dans ces \(60\) diviseurs, on trouve notamment \(1\) lorsque \(\alpha = 0\), \(\beta = 0\) et \(\gamma = 0\) \[2^0 \, \cdot \, 3^0 \, \cdot \, 7^0 \, = 1\]et \(16\,200\) lui-même lorsque \(\alpha =3\), \(\beta = 4\) et \(\gamma = 2\)\[2^3\,  \cdot\,  3^4 \, \cdot\,  7^2 \, = 16\,200\]Nous avons trouvé le nombre de diviseurs de \(16\,200\) sans les compter un à un ! Bien sûr, on aurait pu simplement frapper à la bonne porte ! Mais c’est beaucoup moins amusant…

En général, si \[n = p_{0}^{\alpha} \cdot p_{1}^{\beta} \cdot p_{2}^{\gamma} \ \dots \  p_{i}^{\omega}\]où \(p_{0}\), \(p_{1}\), \(p_{2}\), …  , \(p_{i}\) sont les différents facteurs premiers de \(n\), alors \(n\) compte \[(\alpha + 1)(\beta + 1)(\gamma + 1) \dots (\omega + 1)\]diviseurs.

Morley & Morley Inc.

Voici un théorème surprenant de géométrie élémentaire découvert par Frank Morley (père de Christopher Morley) autour de l’année 1904. À l’époque, Morley, professeur à l’université John Hopkins, partage son résultat avec ses étudiants dans ses cours. Il attendra cependant encore plusieurs années avant de publier sa découverte dans un (obscur) journal mathématique japonnais (1924). Bien que ce théorème ait apparemment échappé tant aux géomètres de l’Antiquité qu’à ceux responsables de la renaissance de la géométrie au XIXième siècle, il est redécouvert quelques années plus tard, à point, et présenté comme problème dans Mathesis (1908) et dans l’Educational Times (1909). Une solution, trigonométrique, est publiée dans le Mathesis alors que trois solutions sont soumises au Times : une trigonométrique et deux géométriques. Le théorème tombe ensuite dans l’oubli pendant 4 ans avant de réapparaître avec F.G. Taylor et W.L. Marr dans le The proceedings of Edinburgh Mathematical Society en tant que nouveau théorème. Des étudiants et amis de Morley entrent en contact avec Taylor et Marr pour leur faire part de sa découverte. Lorsque Taylor et Marr publient leur article, ils donnent le mérite de la découverte à Morley. Voici la première preuve de leur article, particulièrement ingénieuse, et apparemment due à W.E. Philip (1914) . C’est une preuve de type directe.

Soit un triangle \(ABC\) dont les mesures des angles sont, dans l’ordre habituel, \(3\alpha\), \(3\beta\) et \(3\gamma\). Les trisectrices adjacentes à \(\overline{BC}\) se croisent en \(P\), adjacentes à \(\overline{AC}\) se croisent en \(Q\) et adjacentes à \(\overline{AB}\) se croisent en \(R\). On prolonge \(AQ\) et \(BP\) afin qu’elles se croisent en \(S\). Considérons le triangle \(ABS\) : les segments \(AR\) et \(BR\) sont des bissectrices et \(R\) est donc le centre du cercle inscrit. On nomme \(T\) le point de tangence du cercle avec \(\overline{BS}\) et \(U\) le point de tangence du cercle avec \(\overline{AS}\). Le prolongement de \(\overline{RU}\) coupe \(\overline{AC}\) en \(D\) et le prolongement de \(\overline{RT}\) coupe \(\overline{BC}\) en \(T\). Enfin, de \(D\), on mène une tangente qui touche le cercle en \(V\) (sur le petit arc \(TU\)) et coupe \(\overline{BS}\) en \(W\).

On observe d’abord que les triangles \(BRT\) et \(BET\) et les triangles \(ARU\) et \(ADU\) sont isométriques par le cas ACA. Comme \(RU\) et \(RT\) sont des rayons du cercle, on trouve, par transitivité, que les côtés \(RT\), \(ET\), \(RU\) et \(DU\) sont tous isométriques. Par ailleurs, la tangente \(DV\) étant perpendiculaire au rayon \(RV\), on est en présence d’un triangle rectangle \(RVD\) dont l’hypoténuse \(RD\) est le double de la cathète \(RT\). L’angle \(RDV\) a donc pour mesure \(30^{\circ}\) et \(\angle VRD\) a donc pour mesure \(60^{\circ}\).

On considère maintenant le quadrilatère \(RUST\). En soustrayant les mesures des angles droits \(RUS\) et \(RTS\), on obtient l’égalité suivante \[m\angle TRU + m\angle TSU = 180^{\circ}\]ou de manière équivalente \[m\angle TRU = 180^{\circ}-m\angle TSU\]L’angle \(TSU\) fait partie du triangle \(ABS\) dans lequel on a \[m\angle TSU + 2\alpha + 2\beta = 180^{\circ}\]Enfin comme dans le grand triangle \(ABC\) on a \[3\alpha + 3\beta + 3\gamma = 180^{\circ}\]ce qui donne en multipliant chaque côté par \(\frac{2}{3}\) \[2\alpha + 2\beta + 2\gamma = 120^{\circ}\]on peut combiner les résultats précédents afin d’obtenir \[m\angle TSU = 60^{\circ} + 2\gamma\]ou \[m\angle TRU = 120^{\circ}-2\gamma\]Ensuite, les segments \(WT\) et \(WU\) sont isométriques puisqu’il s’agit de deux tangentes à un cercle issue d’un même point. \(W\) est donc sur la médiatrice issue de \(R\) dans le triangle \(TRV\). Et comme ce triangle est isocèle (\(RT\) et \(RV\) sont des rayons), cette médiatrice est aussi bissectrice. Les angles \(TRW\) et \(VRW\) sont donc isométriques. On tire \[m\angle TRV = m\angle TRU-60^{\circ}\]En remplaçant par la valeur trouvée pour la mesure de \(\angle TRU\) on obtient \[m\angle TRV = 120^{\circ}-2\gamma-60^{\circ}\]c’est-à-dire \[m\angle TRV = 60^{\circ}-2\gamma\]Mais puisque les angles \(TRW\) et \(VRW\) sont donc isométriques, on a aussi \[m\angle TRW=30^{\circ}-\gamma\]Comme on a dit plus haut que les segments \(RT\) et \(ET\) étaient isométriques, les triangles \(TRW\) et \(TEW\) sont isométriques par le cas CAC. Et comme dans les triangles isométriques les angles homologues sont isométriques, on a \[m\angle TEW = 30^{\circ}-\gamma\]Considérons maintenant le triangle \(RED\). Puisque les segments \(RE\) et \(RD\) sont isométriques, le triangle est isocèle et les angles \(RED\) et \(RDE\) sont isométriques. Toujours dans le même triangle, on trouve \[m\angle RED = m\angle RDE = \frac{1}{2}\left(180^{\circ}-m\angle TRU\right)\]et comme on avait trouvé préalablement que \[m\angle TRU = 120^{\circ}-2\gamma\]on a\begin{align*}m\angle RED = m\angle RDE &= \frac{1}{2}\left(180^{\circ}-\left(120^{\circ}-2\gamma\right)\right) \\ \\ &=\frac{1}{2}\left(60^{\circ}+2\gamma\right) \\ \\ &=30^{\circ}+\gamma\end{align*}Puisque \[m\angle TEW = 30^{\circ}-\gamma\]on trouve \[m\angle WED = 2\gamma\]et puisque \[m\angle RDV=30^{\circ}\]on trouve aussi \[m\angle WDE = \gamma\]Dans le triangle \(WED\), on a \[m\angle EWD=180^{\circ}-m\angle WED-m\angle WDE\]ce qui donne en remplaçant \[m\angle EWD = 180^{\circ}-2\gamma-\gamma\]et donc\[m\angle EWD = 180^{\circ}-3\gamma\]Puisque \[m\angle EWD + m\angle ECD = \left(180^{\circ}-3\gamma\right)+3\gamma=180^{\circ}\]c’est-à-dire que les angles \(EWD\) et \(ECD\) sont supplémentaires, le quadrilatère \(EWDC\) est inscriptible dans un cercle[1]. Les angles \(WDE\) et \(WCE\) interceptent le même arc \(WE\) et sont donc de même mesure \(\gamma\). \(W\) est donc sur la trisectrice \(CP\) (et par définition il est aussi sur la trisectrice \(BP\)) et on peut conclure que \(W\) et \(P\) sont confondus.

De façon similaire, on peut montrer que la tangente au cercle issue de \(E\) passe par \(Q\). L’angle \(QED\) a donc lui aussi pour mesure \(\gamma\). La figure \(RED\) est symétrique et les points \(P\) et \(Q\) sont placés de façon symétrique de part et d’autre. En particulier les segments \(RP\) et \(RQ\) sont isométriques et incidemment les triangles \(TRP\) et \(QRU\) sont isométriques. Les angles homologues \(TRP\) et \(QRU\) sont eux-aussi isométriques. Mais comme les angles \(TRP\) et \(PRV\) sont eux-mêmes isométriques, on trouve, par transitivité, que les angles \(PRV\) et \(QRU\) sont isométriques. En outre, comme l’angle \(VRD\) a pour mesure \(60^{\circ}\) et que \[m\angle VRD=m\angle VRQ+m\angle QRU = 60^{\circ}\]on a, en substituant \[m\angle VRD = m\angle VRQ + m\angle PRV = 60^{\circ}\]ce qui implique donc \[m\angle PRQ = 60^{\circ}\]

Puisqu’il nous est possible de reproduire la même démarche pour chaque sommet, le triangle \(PRQ\) est équiangle et donc équilatéral.

[1] Nous avons déjà rencontré sur ce blogue ce théorème (Proposition III.22 des Éléments d’Euclide). Si un quadrilatère \(ABCD\) est inscriptible dans un cercle, alors ses angles opposés sont supplémentaires

L’angle \(D\) intercepte l’arc \(ABC\). L’angle \(B\) intercepte l’arc \(ADC\). Ensemble, ils interceptent le cercle au complet : comme un angle inscrit a pour mesure la moitié de l’angle au centre qui intercepte le même arc, on peut conclure qu’ils sont supplémentaires. Réciproquement, si un quadrilatère possède des angles opposés supplémentaires, alors il est inscriptible. Considérons un quadrilatère \(ABCD^{\prime}\) dont les angles opposés sont supplémentaires mais qui n’est pas inscriptible. On peut tracer un cercle passant par \(ABC\) mais comme \(ABCD^{\prime}\) n’est pas inscriptible, le cercle ne passe pas par \(D^{\prime}\) (ici \(D^{\prime}\) est à l’extérieur du cercle mais il pourrait très bien être à l’intérieur). Soit \(D\) l’intersection de \(CD^{\prime}\) et du cercle (si \(D^{\prime}\) est à l’intérieur, il suffit de prolonger \(CD^{\prime}\)). Par le théorème que l’on vient de prouver, les angles \(D\) et \(B\) sont supplémentaires… or par hypothèse \(D^{\prime}\) et \(B\) sont supplémentaires : il y contradiction! Il faut donc que \(D^{\prime}\) et \(D\) coïncident.

Références :

 F. Glanville Taylor and W. L. Marr (1913). The six trisectors of each of the angles of a triangle. Proceedings of the Edinburgh Mathematical Society, 32 , pp 119-131

H.S.M. Coxeter and S.L. Greitzer (1967), Geometry Revisited pp 47-49

R. A. Johnson (1929), Modern Geometry pp 253-254