Conjecture

Voici une belle situation de conjecture qu’on pourrait faire en première secondaire, après avoir vu comment trouver le ppcm et le pgcd de deux nombres. Les situations de conjecture sont au programme, et j’ai l’impression qu’on en fait trop peu souvent. C’est malheureux parce que c’est notamment dans ce genre de situations que les élèves mettent vraiment à profit leur créativité, c’est dans ces situations qu’ils font des mathématiques. Il me semble qu’ils ont parfois cruellement besoin d’un peu plus de ça et d’un peu moins de ça.

On choisit deux nombres entiers positifs. On calcule leur plus grand commun diviseur et leur plus petit commun multiple. Que pouvez-vous dire à propos du produit du ppcm et du pgcd de ces deux nombres ?

Par exemple, en choisissant les nombres \(24\) et \(36\), on obtient un pgcd de \(12\) et un ppcm de \(72\). Le produit demandé est donc égal à \(12\times72 = 864\). Hummmmm… C’est peut-être apparent pour vous et moi, mais des élèves de première ou deuxième secondaire auront certainement besoin de plusieurs autres exemples avant de conjecturer. Il serait donc utile de leur en fournir. Les élèves pourraient aussi eux-mêmes créer des exemples additionnels. On pourrait ainsi vérifier quels élèves utilisent des stratégies efficaces telles que prendre des petits nombres et des nombres premiers entre eux. En refaisant l’exercice avec les nombres \(6\) et \(7\), premiers entre eux, on a un pgcd de \(1\), et donc un ppcm de \(6\times 7 = 42\). Le produit du ppcm et du pgcd est donc \(1\times 42 = 42\), c’est-à-dire le produit des deux nombres du départ ! Coïncidence ? Conjecture !

Pour les plus vieux, on peut procéder en deux étapes. On choisit deux nombres \(a\) et \(b\). On pose\[\text{pgcd}(a,b)=k\]c’est-à-dire qu’on a\[a=kr,\ \ b=ks\]pour certains entiers \(r\) et \(s\) premiers entre eux. Incidemment, on a aussi \[\text{ppcm}(a, b) = krs\]c’est-à-dire \(s\) fois le nombre \(a\) et \(r\) fois le nombre \(b\). Comme \(s\) et \(r\) n’ont pas de facteur commun, il est impossible de trouver un plus petit multiple commun aux deux nombres. En outre, on a bien\begin{align*}\text{pgcd}(a,b)\cdot\text{ppcm}(a,b) &= k\cdot krs \\ \\ &=kr \cdot ks \\ \\ &=ab\end{align*}Le produit du ppcm et du pgcd de deux nombres est égal au produit des deux nombres.

Élémentaire mon cher Archimède…

Le nombre π est un nombre irrationnel.

La preuve qui suit est une preuve qu’on dit « élémentaire » et elle possède d’ailleurs l’avantage principal de toutes les preuves élémentaires : elle nécessite peu de résultats préalables. Dans ce cas-ci, on fera appel à quelques résultats de base de calcul différentiel (par exemple, dériver un produit de fonctions [1] ou dériver un certain nombre de fois une fonction polynomiale [2]), au théorème fondamental du calcul différentiel et intégral et à quelques propriétés de la fonction sinus, à savoir en particulier que \[\sin(\pi) = 0\]La preuve possède cependant les désavantages de (presque) toutes les preuves élémentaires de résultats difficiles : elle est plutôt longue, intriquée, et il est essentiellement impossible de justifier ou de donner une motivation pour les prochaines étapes, qui semblent parfois ne maintenir qu’un fil conducteur très ténu (non sans rappeler la preuve “élémentaire” de la valeur de ζ(2)). Dès lors, le lecteur perspicace se sent inévitablement trahi (désolé M. Pólya).

La preuve est essentiellement celle de Y. Iwamoto, parue dans le Journal of Osaka Institute of Science and Technology en 1949. La preuve de M. Iwamoto est une version plus forte de celle, plus célèbre, d’Ivan Niven [3] parue deux ans plus tôt. Dans sa monographie Irrational Numbers, Niven explique que sa preuve reprend et développe des idées basées sur celle de nul autre que Charles Hermite.

Comme cette preuve s’adresse à un public averti, on trouve dans la littérature peu de détails sur les étapes intermédiaires. Et comme mon blogue s’adresse à un public plus large, je vais tenter une approche plus près de celle empruntée par Michael Spivak dans son livre Calculus (4th edition), c’est-à-dire avec un peu plus d’explications. Ainsi, j’espère faire honneur malgré tout à M. Pólya [4] :

The advanced reader who skips parts that appear too elementary may miss more than the less advanced reader who skips parts too complex.

Dans ce qui suit, on notera \[f^{(k)}(x)\]la dérivée \(k\)ième de la fonction \(f\). On a donc en particulier pour les premières valeurs de \(k\) : \[f^{(0)}(x) = f(x), \quad f^{(1)}(x) = f^{\prime}(x), \quad f^{(2)}(x) = f^{\prime \prime}(x)\]On considère d’abord la fonction suivante \[f_{n}(x) = \frac{x^{n}(1-x)^{n}}{n!}\]Il est évident que pour \[0<x<1\]la fonction satisfait \[0<f_{n}(x)<\frac{1}{n!}\]Si on développe le binôme entre parenthèses, et qu’on distribue par la suite \(x^{n}\), on obtient au numérateur un polynôme de degré \(2n\), c’est-à-dire qu’on peut exprimer la fonction \(f_{n}\) comme \[f_{n}(x) = \frac{1}{n!}\sum_{i=n}^{2n}c_{i}x^{i}\]pour certaines valeurs entières de \(c_{i}\) (on pourrait exprimer ces valeurs avec le binôme de Newton mais c’est, dans cette preuve, sans importance). On considère les dérivées \(k\)ième de \(f_{n}\). Il est clair que \[f_{n}^{(k)}(0) = 0\]si \[k<n\]puisque dans ce cas, il ne reste que des termes en \(x\), ou si \[k>2n\]puisque dans ce cas, on dérive un nombre plus grand de fois que le degré du polynôme. Pour \[n\leq k \leq 2n\]on a \begin{align*}f_{n}^{(n)}(x) &= \frac{1}{n!}\left(n!\, c_{n}+\left(\text{des termes en }x\right)\right) \\ \\ f_{n}^{(n+1)}(x) &= \frac{1}{n!}\left(\left(n+1\right)! \, c_{n+1}+\left(\text{des termes en }x\right)\right) \\ \\ &\vdots \\ \\ f_{n}^{(2n)}(x) &=\frac{1}{n!}\left(\left(2n\right)!\, c_{2n}\right)\end{align*}ce qui fait \begin{align*}f_{n}^{(n)}(0) &= \frac{1}{n!}\left(n!\, c_{n}\right) = c_{n} \\ \\ f_{n}^{(n+1)}(0) &= \frac{1}{n!}\left(\left(n+1\right)! \, c_{n+1}\right) = \frac{1}{n!}\cdot n! \cdot \left(n+1\right)c_{n+1} = \left(n+1\right)c_{n+1} \\ \\ &\vdots \\ \\ f_{n}^{(2n)}(0) &= \frac{1}{n!}\left(\left(2n\right)! \, c_{2n}\right) = \frac{1}{n!}\cdot \left(2n\right)\left(2n-1\right) \dots \left(n+1\right) \cdot n! \cdot c_{2n} = \left(2n\right)\left(2n-1\right)\dots \left(n+1\right)c_{2n}\end{align*}Tous les termes à droites sont des nombres entiers. Ainsi, l’expression \[f_{n}^{(k)}(0)\]représente toujours un nombre entier, quelle que soit la valeur de \(k\). Par ailleurs, on a \begin{align*}f_{n}(1-x) &= \frac{\left(1-x\right)^{n}\left(1-\left(1-x\right)\right)^{n}}{n!} \\ \\ &=\frac{x^{n}\left(1-x\right)^{n}}{n!} \\ \\ &=f_{n}(x)\end{align*}ce qui nous permet de trouver en particulier \[f_{n}^{(k)}(x)= \left(-1\right)^{k}f_{n}^{(k)}\left(1-x\right)\]et de conclure que l’expression\[f_{n}^{(k)}(1)\]représente elle aussi toujours un nombre entier. Avant d’introduire d’autres fonctions savamment construites à partir de \(f_{n}\), on s’attarde à une courte remarque. Si \(a\) est un nombre positif, alors pour tout \(\epsilon > 0\), on a, pour un \(n\) suffisamment grand, \[\frac{a^{n}}{n!} < \epsilon\]On peut d’abord observer que si \(n\geq 2a\), on a \begin{align*} \frac{a^{n+1}}{\left(n+1\right)!} &= \frac{a \cdot a^{n}}{\left(n+1\right)n!} \\ \\ &= \frac{a}{n+1}\cdot \frac{a^{n}}{n!} \\ \\ &< \frac{1}{2}\cdot \frac{a^{n}}{n!}\end{align*}
Incidemment, en posant \(n_{0}\) un nombre naturel tel que\[n_{0}\geq 2a\]qu’importe la valeur de \[\frac{a^{n_{0}}}{\left(n_{0}\right)!}\]les valeurs successives seront \begin{align*}\frac{a^{\left(n_{0}+1\right)}}{\left(n_{0}+1\right)!}&< \frac{1}{2}\cdot \frac{a^{n_{0}}}{\left(n_{0}\right)!} \\ \\ \frac{a^{\left(n_{0}+2\right)}}{\left(n_{0}+2\right)!}&<\frac{1}{2}\cdot \frac{a^{\left(n_{0}+1\right)}}{\left(n_{0}+1\right)!}<\frac{1}{2}\cdot \frac{1}{2}\cdot \frac{a^{n_{0}}}{\left(n_{0}\right)!}\\ \\ &\vdots \\ \\ \frac{a^{\left(n_{0}+k\right)}}{\left(n_{0}+k\right)!} &< \frac{1}{2^{k}}\cdot \frac{a^{0}}{\left(n_{0}\right)!}\end{align*}De cela on tire, en choisissant correctement une valeur de \(k\) assez grande, \[\frac{a^{n_{0}}}{\left(n_{0}\right)! \, \epsilon}< 2^{k}\]et donc obtenir\[\frac{a^{\left(n_{0}+k\right)}}{\left(n_{0}+k\right)!}<\epsilon\]soit le résultat attendu. On s’attaque maintenant à l’irrationalité du nombre \(\pi\). On va cependant démontrer un résultat encore plus fort, l’irrationalité de \(\pi^{2}\). En effet, si \(\pi\) était rationnel, alors \(\pi^{2}\) serait certainement lui aussi rationnel. La preuve fonctionne par contradiction. On suppose donc que \(\pi^{2}\) est rationnel et que\[\pi^{2}=\frac{a}{b}\]avec \(a\) et \(b\) des entiers positifs premiers entre eux. On introduit la fonction \(G\) suivante \[G(x) = b^{n}\left(\pi^{2n}f_{n}(x)-\pi^{2n-2}f_{n}^{\prime \prime}(x)+\pi^{2n-4}f_{n}^{\left(4\right)}(x)- \ \dots \ +\left(-1\right)^{n}f_{n}^{\left(2n\right)}(x)\right)\]Lorsqu’on distribue \(b^{n}\) dans la parenthèse, on obtient des coefficients des termes en \(f_{n}^{\left(k\right)}\) de la forme \begin{align*}b^{n}\pi^{2n-2k}&=b^{n}\pi^{2\left(n-k\right)} \\ \\ &=b^{n}\left(\pi^{2}\right)^{n-k} \\ \\ &=b^{n}\left(\frac{a}{b}\right)^{n-k} \\ \\ &=a^{n-k}b^{k}\end{align*}c’est-à-dire tous des nombres entiers. Et puisque \[f_{n}^{\left(k\right)}(0)\]et \[f_{n}^{\left(k\right)}(1)\]sont des entiers, alors\[G(0)\]et\[G(1)\]sont eux aussi des entiers. On dérive la fonction \(G\) deux fois \[G^{\prime \prime}(x) = b^{n}\left(\pi^{2n}f_{n}^{\prime \prime}(x)-\pi^{2n-2}f_{n}^{\left(4\right)}(x)+\pi^{2n-4}f_{n}^{\left(6\right)}(x)- \ \dots \ +\left(-1\right)^{n}f_{n}^{\left(2n+2\right)}(x)\right)\]Le dernier terme, \[\left(-1\right)^{n}f_{n}^{\left(2n+2\right)}(x)\]est bien sûr zéro. Maintenant, on remarque qu’en multipliant \(G\) par \(\pi^{2}\), on obtient \begin{align*}\pi^{2}G(x) &=\pi^{2}\left(b^{n}\left(\pi^{2n}f_{n}(x)-\pi^{2n-2}f_{n}^{\prime \prime}(x)+\pi^{2n-4}f_{n}^{\left(4\right)}(x)- \ \dots \ +\left(-1\right)^{n}f_{n}^{\left(2n\right)}(x)\right)\right) \\ \\ &=b^{n}\left(\pi^{2n+2}f_{n}(x)-\pi^{2n}f_{n}^{\prime \prime}(x)+\pi^{2n-2}f_{n}^{\left(4\right)}(x)-\pi^{2n-4}f_{n}^{\left(6\right)}(x)+ \ \dots \ + \left(-1\right)^{n}\pi^{2}f_{n}^{\left(2n\right)}(x)\right)\end{align*}et qu’il est possible de faire la somme de \(G^{\prime \prime}(x)\) et \(\pi^{2}G(x)\) et d’observer que tous les termes s’annulent sauf un, afin d’obtenir \begin{align*}G^{\prime \prime}(x) + \pi^{2}G(x) &= b^{n}\pi^{2n+2}f_{n}(x) \\ \\ &=b^{n}\left(\frac{a}{b}\right)^{n}\pi^{2}f_{n}(x)\\ \\ &= \pi^{2}a^{n}f_{n}(x)\end{align*}On introduit enfin une dernière fonction \(H\) \[H(x) = G^{\prime}(x)\sin\!\left(\pi x\right)-\pi G(x)\cos\!\left(\pi x \right)\]Lorsqu’on dérive cette fonction, on obtient \[H^{\prime}(x) = G^{\prime \prime}(x)\sin\!\left(\pi x\right) + \pi G^{\prime}(x)\cos\!\left(\pi x\right)-\pi G^{\prime}(x)\cos\!\left(\pi x\right) + \pi^{2}G(x) \sin\!\left(\pi x\right)\]ce qui se simplifie en regroupant les deux termes qui s’annulent et en effectuant la mise en évidence \begin{align*}H^{\prime}(x) &=G^{\prime \prime}(x)\sin\!\left(\pi x\right) + \pi^{2}G(x)\sin\!\left(\pi x\right) \\ \\ &=\left(G^{\prime \prime}(x) + \pi^{2}G(x)\right)\sin\!\left(\pi x\right)\end{align*}En remplaçant l’expression entre parenthèses, on obtient \begin{align*}H^{\prime}(x)&=\left(G^{\prime \prime}(x)+\pi^{2}G(x)\right)\sin\!\left(\pi x \right) \\ \\ &=\pi^{2}a^{n}f_{n}(x)\sin\!\left(\pi x\right)\end{align*}On considère maintenant l’intégrale définie suivante \[\pi^{2}\int_{0}^{1}a^{n}f_{n}(x)\sin\!\left(\pi x\right) \text{d}x\]Le théorème fondamental du calcul différentiel et intégral nous permet d’écrire \begin{align*}\pi^{2}\int_{0}^{1}a^{n}f_{n}(x)\sin\!\left(\pi x\right)\text{d}x &= H(1)-H(0) \\ \\ &=G^{\prime}(1)\sin\!\left(\pi \cdot 1\right)-\pi G(1)\cos\!\left(\pi \cdot 1\right)-\left(G^{\prime}(0)\sin\!\left(\pi \cdot 0\right)-\pi G(0)\cos\!\left(\pi \cdot 0\right)\right) \\ \\ &= 0 + \pi G(1)-0 + \pi G(0) \\ \\ &=\pi \left(G(1)+G(0)\right)\end{align*}On a, à droite, une somme de termes constants multipliée par \(\pi\). De cela, en divisant par \(\pi\), on tire l’intégrale définie \[\pi \int_{0}^{1}a^{n}f_{n}(x)\sin\!\left(\pi x\right) \text{d}x = G(1)+G(0)\]c’est-à-dire un nombre entier ! Or, comme on avait remarqué, on a \[0<f_{n}(x)<\frac{1}{n!}\]pour\[0<x<1\]Conséquemment, en multipliant par \(\pi a^{n}\), un nombre positif, on a\[0<\pi a^{n}f_{n}(x)\sin\!\left(\pi x\right) < \frac{\pi a^{n}}{n!}\]et donc aussi, en inspectant les bornes de l’intégrale,\[0<\pi \int_{0}^{1}a^{n}f_{n}(x)\sin\!\left(\pi x\right)\text{d}x<\frac{\pi a^{n}}{n!}\]Mais comme ce raisonnement est indépendant de la valeur de \(n\), on n’a qu’à choisir un \(n\) assez grand afin d’obtenir \[0<\pi \int_{0}^{1}a^{n}f_{n}(x)\sin\!\left(\pi x\right)\text{d}x<\frac{\pi a^{n}}{n!}<1\]ce qui est la contradiction recherchée ! L’intégrale est un nombre entier, mais il n’y a évidemment aucun nombre entier strictement supérieur à \(0\) et strictement inférieur à \(1\). Notre prémisse de départ s’avère donc fausse : \(\pi^{2}\) est irrationnel.

[1]\[\left(f\cdot g\right)^{\prime}=f^{\prime}g+fg^{\prime}\][2] Si \[f(x) = x^{a}\]on a \[f^{\left(k\right)} (x)= a\left(a-1\right)\left(a-2\right) \ \dots \ \left(a-k+1\right)a^{a-k}\]et comme à chaque fois qu’on dérive le degré diminue de \(1\), si on dérive \(a\) fois une fonction polynomiale de degré \(a\), on obtient une constante et si on dérive la fonction polynomiale plus de \(a\) fois, on obtient des termes nuls.

[3] Voici la preuve originale d’Ivan Niven parue dans le Bulletin of American Mathematical Society 53 (1947), 509.

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[4] George Pólya (1954) dans Induction and Analogy in Mathematics

Références supplémentaires : Michael Spivak (2008), Calculus (4th edition)

Martin Aigner et Günter M. Ziegler (2010), Proofs from THE BOOK (4th edition)

Ivan Niven (1965), Irrational Numbers

La cible

La version classée “Visa Général”

Un problème classique de probabilité géométrique (qui s’intègre par exemple au programme de troisième secondaire) est le suivant :

On sélectionne un point au hasard sur une cible circulaire. Quelle est la probabilité que le point choisi soit plus prêt du centre que de la circonférence de la cible ?

Il semble assez évident pour les élèves de délimiter correctement de manière intuitive les zones par deux disques concentriques.

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Plusieurs élèves évaluent néanmoins incorrectement (souvent sans avoir fait un seul calcul ou réfléchi au rapport des aires de figures semblables) la probabilité de choisir un point dans la zone hachurée à \(\frac{1}{2}\) (parce que le rayon du disque hachuré correspond à la moitié du rayon du grand disque). Or, si le petit disque possède un rayon de \(r\) et le grand \(2r\), on a la probabilité \(P\) recherchée \begin{align*}P&= \frac{\text{Aire du petit disque hachuré}}{\text{Aire du grand disque}} \\ \\ &= \frac{\pi r^{2}}{\pi \left(2r\right)^{2}} \\ \\ &=\frac{\pi r^{2}}{4\pi r^{2}} \\ \\ &= \frac{1}{4}\end{align*}ce qui n’est pas la solution attendue par ces élèves ! Il y a donc un certain élément de surprise.

La version “Pour Adultes”

Quel ne fut pas mon plaisir de tomber sur un problème similaire mais cette fois-ci pour les plus grands. On n’a essentiellement qu’à changer un seul mot.

On sélectionne un point au hasard sur une cible carrée. Quelle est la probabilité que le point sélectionné soit plus prêt du centre du carré que d’un de ses côtés ?

Je vous conseille bien fortement d’essayer de trouver la solution par vous-même avant de continuer la lecture. Quel plaisir ! Ce problème faisait partie de la compétition Putnam 1989. Dans l’énoncé original, on demande que la réponse finale soit sous la forme \[\frac{a+b\sqrt{c}}{d}\]avec \(a\), \(b\), \(c\) et \(d\) entiers. C’est ce que nous allons faire.

Un analyse sommaire peut nous conduire à identifier des points « évidents » situés les frontières (en rouge, ci-bas).thedudeminds_2012122601

Or, nos « réflexes » habituels semblent de prime abord futiles. La région à considérer n’est certainement pas un carré
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car, ici, comme \[m\overline{OS} = m\overline{SR} = m\overline{PQ}\]et \(\overline{OP}\) est l’hypoténuse d’un triangle rectangle dont \(\overline{OS}\) est une cathète, on a clairement que \[m\overline{OP}>m\overline{PQ}\]Le point \(P\) est donc plus prêt du côté du carré que du centre. La région à considérer n’est pas non plus un disque

thedudeminds_2012122603puisque si \[m\overline{OS} = m\overline{SR}\]on ne peut clairement pas avoir en même temps également \[m\overline{OS} = m\overline{OP} = m\overline{PQ}\]si \(P\) n’est pas en \(S\). Le point \(P\) est donc plus prêt du centre que du côté du carré.

L’ensemble de points équidistants d’un point et d’une droite est une parabole. La région à considérer est donc délimitée par quatre paraboles qui ont pour foyer le centre du carré et comme droites directrices les droites qui supportent les côtés du carré.thedudeminds_2012122604On s’affaire donc à trouver l’aire de cette région hachurée. La tâche s’avère de prime abord ardue. Cependant, il est possible d’utiliser les symétries de la figure à notre avantage. On place d’abord le tout dans un repère cartésien. Les sommets du carré sont \((1,\, 1)\), \((-1,\, 1)\), \((-1,\, -1)\) et \((1,\, -1)\).thedudeminds_2012122607

En vertu des symétries de la figure, il nous est possible de nous concentrer seulement sur la partie située dans le premier quadrant.thedudeminds_2012122608

Qui plus est, il est possible de ne s’attarder qu’à la moitié de cette dernière région.

thedudeminds_2012122605Ce « croissant de parabole » correspond à la moitié de la région à considérer dans le premier quadrant. On note au passage que l’aire du carré dans ce premier quadrant est 1 (pratique pour calculer des probabilités). Le « croissant » est à son tour divisé en deux parties : la zone de forme triangulaire \(A_{1}\) et la zone \(A_{2}\). On cherche l’aire de ces zones. Pour y arriver, on aura besoin des coordonnées de \(P\).

L’équation de la parabole qui nous intéresse est \[\left(y-k\right)^{2}=4c\left(x-h\right)\]où \(h\) et \(k\) sont les coordonnées du sommet de la parabole et \(c\) est la distance focale (orientée). On a donc \begin{align*}y^{2}&=4\left(-\frac{1}{2}\right)\left(x-\frac{1}{2}\right) \\ \\ &=-2\left(x-\frac{1}{2}\right) \\ \\ &=1-2x \end{align*}On isole ensuite \(y\) dans \[y^{2}=1-2x\]en prenant la racine carrée \[y = \pm\sqrt{1-2x}\]On ne s’intéressera qu’à la branche située au dessus de l’axe des abscisses. Ainsi, on ne garde que la racine positive \[y = \sqrt{1-2x}\]On cherche ensuite les coordonnées de \(P\), le point d’intersection entre la courbe d’équation \[y = \sqrt{1-2x}\]et la droite d’équation \[y=x\]Par comparaison, on a \[x = \sqrt{1-2x}\]puis en élevant au carré \[x^{2}=1-2x\]On obtient un trinôme du deuxième degré \[x^{2}+2x-1=0\]qu’on peut résoudre en compétant le carré \begin{align*}x^{2}+2x-1&=0 \\ \\ x^{2}+2x+1 &= 2 \\ \\ \left(x+1\right)^{2}&=2 \\ \\ x+1 &= \pm\sqrt{2} \\ \\ x&=-1\pm\sqrt{2}\end{align*}Comme \(P\) est dans le premier quadrant, on ne garde que la solution positive \[x=-1+\sqrt{2}\]et puisque \[y = x\]les coordonnées de \(P\) sont \[\left(-1+\sqrt{2},\,-1+\sqrt{2}\right)\]Il nous est donc déjà possible de trouver l’aire du triangle, que l’on a identifié comme \(A_{1}\). \begin{align*}A_{1}&= \frac{\left(-1+\sqrt{2}\right)\left(-1+\sqrt{2}\right)}{2} \\ \\ &=\frac{1-2\sqrt {2}+2}{2} \\ \\ &=\frac{3-2\sqrt{2}}{2}\end{align*}Il reste à trouver l’aire de la région sous la courbe, celle identifiée comme \(A_{2}\). On pose l’intégrale définie suivante \[A_{2}=\int_{-1+\sqrt{2}}^{\frac{1}{2}}\sqrt{1-2x}\,\text{d}x\]On effectue le changement de variables suivant \begin{align*}u&=1-2x \\ \\ \text{d}u&=-2\text{d}x \\ \\ -\frac{1}{2}\text{d}u &= \text{d}x\end{align*}
en n’oubliant pas les bornes de l’intégrale \[1-2\left(\frac{1}{2}\right) = 1-1=0\]et \[1-2\left(-1+\sqrt{2}\right)=1+2-2\sqrt{2}=3-2\sqrt{2}\]On a donc \begin{align*}\int_{3-2\sqrt{2}}^{0} \sqrt{u} \cdot \left(-\frac{1}{2}\right) \text{d}u &= -\frac{1}{2}\int_{3-2\sqrt{2}}^{0}\sqrt{u}\,\text{d}u \\ \\ &=-\frac{1}{2}\int_{3-2\sqrt{2}}^{0}u^{\frac{1}{2}}\,\text{d}u \\ \\ &=-\frac{1}{2}\cdot \left[\frac{2}{3}u^{\frac{2}{3}}\right]_{3-2\sqrt{2}}^{0} \\ \\ &=-\frac{1}{2}\left(0-\frac{2}{3}\left(3-2\sqrt{2}\right)^{\frac{3}{2}}\right) \\ \\ &= \frac{1}{2}\left(3-2\sqrt{2}\right)^{\frac{3}{2}}\end{align*}Ainsi, on obtient l’aire \(A_{2}\) \begin{align*}A_{2}&= \frac{1}{3}\left(3-2\sqrt{2}\right)^{\frac{3}{2}} \\ \\  &=\frac{1}{3}\left(\!\sqrt{3-2\sqrt{2}}\,\right)^{\! 3}\end{align*}L’expression entre parenthèses se simplifie. Le nombre sous la racine est effectivement un carré. On pourrait poser \begin{align*}\sqrt{3-2\sqrt{2}}&=a+b\sqrt{2} \\ \\ \\ 3-2\sqrt{2}&=\left(a+b\sqrt{2}\right)^{2} \\ \\ &=a^{2}+2ab\sqrt{2} + 2b^{2} \\ \\ &=a^{2} + 2b^{2}+2ab\sqrt{2} \end{align*}En égalant les parties entières du nombre et les coefficients de \(\sqrt{2}\), on obtient les équations suivantes \[3 = a^{2}+2b^{2}\]et \[-2=2ab\]Par chance, la dernière devient, en divisant par \(2\), \[-1=ab\]Il faut donc que \(a\) et \(b\) prennent les valeurs de \(1\) et \(-1\). Dans quel ordre ? Il suffit de remarquer qu’on veut un nombre \[a+b\sqrt{2}\]positif. On pose donc \[a = -1, \, b = 1\]ce qui satisfait bien entendu la deuxième équation mais aussi la première, afin d’obtenir \[A_{2} = \frac{\left(-1+\sqrt{2}\right)^{3}}{3}\]L’aire totale est donc de \[A_{1}+A_{2} = \frac{3-2\sqrt{2}}{2} + \frac{\left(-1+\sqrt{2}\right)^{3}}{3}\]En développant on a \[A_{1}+A_{2} = \frac{3-2\sqrt{2}}{2}+\frac{5\sqrt{2}-7}{3}\]puis en mettant sur dénominateur commun \[A_{1}+A_{2} = \frac{9-6\sqrt{2}}{6}+\frac{10\sqrt{2}-14}{6}\]on obtient finalement \[A_{1}+A_{2}=\frac{-5+4\sqrt{2}}{6}\]Comme le carré du premier quadrant à une aire de \(1\), il ne reste qu’à doubler ce résultat afin d’obtenir la probabilité recherchée \[2\left(A_{1}+A_{2}\right) = \frac{-5+4\sqrt{2}}{3}\]ce qui correspond à un peu moins de \(22\%\).