Contrairement à l’intuition…

Pour une aire donnée, le rectangle possédant le plus petit périmètre est un carré.

On considère le carré suivant d’aire \(x^{2}\)


La mesure d’un de ses côtés est \(x\) et son périmètre est \(4x\). On considère ensuite un rectangle équivalent. Il est clair que si on augmente à la fois la longueur et la largueur, l’aire du rectangle sera indubitablement supérieure et, contrairement, si on diminue à la fois la longueur et la largeur, l’aire sera nécessairement plus petite. Il faut donc augmenter la longueur et diminuer la largeur (ou vice-versa). Les mesures des côtés du rectangle sont donc \(x-a\) et \(x-b\), où \(a\) et \(b\) sont deux nombres réels strictement positifs. Le périmètre du deuxième rectangle est\[4x+2\left(a-b\right)\]En quoi cela se compare-t-il avec le périmètre du carré ? Comme les rectangles sont équivalents, on a, en comparant les aires,\begin{align*}(x+a)(x-b)&=x^{2}\\ \\ x^2 +(a-b)x-ab&=x^{2}\\ \\ (a-b)x-ab&=0 \\ \\ a-b&=\frac{ab}{x}\end{align*}En substituant, le périmètre du deuxième rectangle devient\[4x+\frac{2ab}{x}\]et puisque\[a>0,\quad b>0,\quad x>0\]l’expression\[\frac{2ab}{x}>0\]est strictement positive. Cela nous permet de conclure que\[4x+\frac{2ab}{x}>4x\]On pose ensuite le problème suivant

Un terrain rectangulaire d’aire A se trouve le long de la rive (rectiligne) d’une rivière. Quelle est la longueur minimale de la clôture nécessaire pour clôturer les trois autres côtés du terrain ?

La solution est-elle encore un carré ?

On a\[A=xy\] \[P=2x+y\]avec\[x>0, \quad y>0\]En substituant on obtient\[P = 2x + \frac{A}{x}\]On cherche à minimiser \(P\). En dérivant par rapport à \(x\) on obtient\[P’ = 2-\frac{A}{x^{2}}\]puis en résolvant \begin{align*}0&=2-\frac{A}{x^{2}} \\ \\ \frac{A}{x^{2}}&=2 \\ \\ A&=2x^{2} \\ \\ \frac{A}{2} &= x^{2} \\ \\ \pm \sqrt{\frac{A}{2}} &=x \\ \\ \pm\frac{\sqrt{2}}{2}\sqrt{A}&=x\end{align*}On ne retient que la racine positive puisque \(x>0\). Enfin comme \[P^{\prime \prime} = \frac{2A}{x^{3}}\]on a en remplaçant\[P^{\prime \prime}=\frac{2A}{\frac{\sqrt{2}}{2}\sqrt{A}}>0\]ce qui nous assure que notre solution\[x=\frac{\sqrt{2}}{2}\sqrt{A}\]est un minimum. Il est peut-être étonnant de prime abord de voir que\[x=\sqrt{A}\]n’est pas la solution et que le rectangle de plus petite aire n’est pas un carré ! C’est essentiellement contraire à l’intuition que l’on aurait pu se forger au départ. On peut obtenir une expression pour \(y\) \[y = \sqrt{2}\sqrt{A}\]et calculer ce qui donne, comme longueur de clôture,\begin{align*}2\frac{\sqrt{2}}{2}\sqrt{A} + \sqrt{2}\sqrt{A} &= 2\sqrt{2}\sqrt{A} \\ \\&\approx 2,\!8284\sqrt{A}\\ \\ &<3\sqrt{A}\end{align*}

Comme il est inutile de clôturer la rive, on n’a qu’à compter le plus grand côté une seule fois. Il semble donc normal, après réflexion, qu’on ait \(y>x\) dans la solution optimale.

Intrication mathématique

Après la suite de Fibonacci, on fouille et cherche dans le triangle de Pascal dans l’espoir d’y trouver un autre résultat étonnant.

Les mathématiciens sont familiers depuis longtemps avec le fait que la \(n\)e ligne du triangle se somme à \(2^{n}\) (la première ligne étant commodément notée \(n=0\)). \[\sum_{k=0}^{n}\binom{n}{k}=\ 2^{n}\]Pour une preuve ingénieuse utilisant la combinatoire, on peut se référer à Andrews [1]. Qu’advient-il alors lorsqu’on multiplie les membres des lignes et donc qu’on s’intéresse à \[p_{n}= \prod_{k=0}^{n}\binom{n}{k}\]De prime abord, hélas, pas grand chose…

… outre que les valeurs successives de \(p_{n}\) croient très rapidement. Il serait donc peut-être pertinent de regarder du côté des rapports \(\dfrac{p_{n}}{p_{n-1}}\).

Même les rapports successifs croient eux-aussi de manière fulgurante ! Or il semble cette fois-ci qu’un lien multiplicatif approximatif lie les rapports successifs : pour les premières valeurs de \(n\), cela semble être un peu plus que le double ! Il nous reste donc à vérifier du côté des rapports des rapports.

On s’intéresse à la valeur limite, si elle existe, de ces rapports de rapports. On trouve d’abord une expression pour \(p_{n}\) \begin{align*}p_{n} &= \prod_{k=0}^{n} \binom{n}{k} \\ \\ &=\frac{n!}{0!(n-0)!} \cdot \frac{n!}{1!(n-1)!} \ \cdot \ \dots \ \cdot \ \frac{n!}{(n-1)!(n-(n-1))!}\cdot \frac{n!}{n!(n-n)!}\end{align*}Au numérateur, on multiplie \(n!\) un total de \((n+1)\) fois. Au dénominateur, on remarque qu’on a deux fois les facteurs \(0!\), deux fois les facteurs \(1!\), … , deux fois les facteurs \((n-1)!\) et enfin deux fois les facteurs \(n!\). On obtient donc \[p_{n} = \left(n!\right)^{n+1}\cdot \prod_{k=0}^{n}\frac{1}{\left(k!\right)^{2}}\]On s’intéresse ensuite aux rapport \(\dfrac{p_{n}}{p_{n-1}}\) \[\frac{p_{n}}{p_{n-1}} = \frac{\left(n!\right)^{n+1}\cdot \prod_{k=0}^{n}\frac{1}{\left(k!\right)^{2}}}{\left(\left(n-1\right)!\right)^{(n-1)+1}\cdot \prod_{k=0}^{n-1}\frac{1}{\left(k!\right)^{2}}}\]qu’on simplie dans les étapes suivantes (en commençant par les produits peu commodes) qu’on espère suffisamment simples pour qu’elles se passent d’explication\begin{align*}\frac{p_{n}}{p_{n-1}}&=\frac{\left(n!\right)^{n+1}\cdot \prod_{k=0}^{n}\frac{1}{\left(k!\right)^{2}}}{\left(\left(n-1\right)!\right)^{n}\cdot \prod_{k=0}^{n}\frac{1}{\left(k!\right)^{2}}} \\ \\ &=\frac{\left(n!\right)^{n+1}\cdot \frac{1}{\left(n!\right)^{2}}\cdot \prod_{k=0}^{n-1}\frac{1}{\left(k!\right)^{2}}}{\left(\left(n-1\right)!\right)^{n}\cdot \prod_{k=0}^{n-1}\frac{1}{\left(k!\right)^{2}}} \\ \\ &=\frac{\left(n!\right)^{n+1}}{\left(\left(n-1\right)!\right)^{n} \cdot \left(n!\right)^{2}} \\ \\ &=\frac{\left(n!\right)^{n}}{\left(\left(n-1\right)!\right)^{n}\cdot n!}\\ \\ &=\frac{\left(n\left(n-1\right)!\right)^{n}}{\left(\left(n-1\right)!\right)^{n}\cdot n!} \\ \\ &=\frac{n^{n}\left(\left(n-1\right)!\right)^{n}}{\left(\left(n-1\right)!\right)^{n}\cdot n!}\\ \\ &=\frac{n^{n}}{n!}\end{align*}Pas si mal ! On s’intéresse enfin aux rapports des rapports qu’on simplifie eux-aussi étape par étape\begin{align*}\frac{p_{n+1}/p_{n}}{p_{n}/p_{n-1}}&= \frac{\frac{\left(n+1\right)^{n+1}}{\left(n+1\right)!}}{\frac{n^{n}}{n!}} \\ \\ &=\frac{\left(n+1\right)^{n+1}}{\left(n+1\right)!}\cdot \frac{n!}{n^{n}} \\ \\ &=\frac{\left(n+1\right)^{n}\cdot \left(n+1\right)\cdot n!}{n^{n} \cdot \left(n+1\right)\cdot n!} \\ \\ &=\frac{\left(n+1\right)^{n}}{n^{n}}\\ \\ &=\left(\frac{n+1}{n}\right)^{n}\\ \\ &=\left(1 + \frac{1}{n}\right)^{n}\end{align*}Et là comme \[\lim_{n\to \infty}\left(1 + \frac{1}{n}\right)^{n}=e\]on trouve que\[\lim_{n\to \infty} \frac{\phantom{x}\frac{p_{n+1}}{p_{n}}\phantom{x}}{\frac{p_{n}}{p_{n-1}}} =e\]c’est-à-dire que lorsque \(n\to \infty\), les rapports des rapports tendent vers le nombre \(e\).

[1] George E. Andrews (1994), Number Theory

Référence : Harlan J. Brothers, Mathematics Magazine, Volume 85, Number 1, February 2012 , pp. 51-51(1)

Un curieux test de primalité…

Cet article sur Blogdemaths me rappelle cette histoire de Dennis P. Walsh dans Mathematics Magazine.

Un étudiant de mathématiques monte à bord d’un taxi. Pour entamer la discussion, la chauffeuse de taxi lui demande ce qui l’occupe et lorsqu’il lui répond elle lui dit : « Ah! Très bien ! Écoutez donc ce qui suit. La dérivée seconde de\[e^{x}\]évaluée en\[x=0\]est égale à \(1\), n’est-ce pas ? Cela implique que \(2\) est un nombre premier. » L’étudiant réprime un petit rire condescendant à l’endroit de cette chauffeuse de taxi qui s’amuse innocemment avec des mathématiques qu’elle ne comprend pas mais se console et se dit que, au moins, sur le fond, \(2\) est effectivement un nombre premier. Cette dernière n’appréciant pas la réaction, elle emprunte un long détour (qui finira par coûter très cher !) Elle renchérit : « La dérivée troisième de\[e^{x}+e^{x^{2}}\]évaluée en \[x = 0\]est bien égale à \(1\) n’est-ce pas ? Alors \(3\) est un nombre premier. Et la dérivée quatrième de\[e^{x}+e^{x^{2}} +e^{x^{3}}\]évaluée en\[x = 0\]n’est pas égale à \(1\) ! Alors \(4\) n’est pas un nombre premier… »

Vous avez sûrement remarqué la régularité. Elle affirme que pour la fonction \(g\) suivante définie pour \(n>1\) \[g_{n}(x) = \sum_{k\,=\,1}^{n-1}e^{x^{k}}\]si on a \[g_{n}^{(n)}(0) = 1\]alors \(n\) est premier et si on a \[g_{n}^{(n)}(0) \neq 1\]alors \(n\) est composé. Avant de s’attaquer à la preuve de cet énoncé, puisqu’on parle de dérivées seconde, troisième, quatrième et plus, un petit rappel s’impose. La dérivée de la fonction puissance \(f\) \[f(x) = x^{\alpha}\]est \[f'(x) = \alpha x^{\alpha-1}\]cette règle étant bien connue des étudiants dès les premiers cours de calcul différentiel. En appliquant à nouveau la même règle, on obtient pour la dérivée seconde \[f^{\prime \prime}(x) = \alpha (\alpha-1) x^{\alpha-2 }\]et en appliquant à nouveau la même règle à répétition, on obtient après \(n\) itérations \[f^{(n)}(x) = \alpha(\alpha-1)(\alpha-2)\dots(\alpha-n+1)x^{\alpha-n}\]pour la dérivée \(n\)e de la fonction \(f\). Il est tout à fait pertinent de noter qu’à chaque itération, la fonction puissance perd un degré. En outre, si \(\alpha<n\), c’est-à-dire que si on dérive la fonction un nombre plus grand de fois que son degré initial, on aura éventuellement que des termes nuls, et donc \[f^{(n)}(x) = 0\]Par ailleurs, si \(\alpha = n\), on a exactement \[f^{(n)}(x) = \alpha(\alpha-1)\dots (\alpha-n+1)x^{0} = \alpha(\alpha-1)\dots (\alpha-n+1)\]c’est-à-dire un terme constant. Enfin, si \(\alpha > n\), on aura un terme non-nul de degré \(\alpha-n\) \[f^{(n)}(x) = \alpha(\alpha-1)(\alpha-2)\dots (\alpha-n+1)x^{\alpha-n}\]L’astuce est d’utiliser le développement en série de la fonction exponentielle \[e^{z} = \sum_{j\,=\, 0}^{\infty}\frac{z^{j}}{j\,!}\]En posant\[z =x^{k}\]on obtient\[e^{x^{k}} = \sum_{j\,=\,0}^{\infty}\frac{\left(x^{k}\right)^{j}}{j\,!} = \sum_{j\,=\,0}^{\infty} \frac{x^{kj}}{j\,!}\]Il est donc possible d’exprimer la fonction \(g\) \[g_{n}(x) = \sum_{k\,=\,1}^{n-1}e^{x^{k}}\]comme \[g_{n}(x) = \sum_{k\,=\,1}^{n-1}\sum_{j\,=\,0}^{\infty}\frac{x^{kj}}{j\,!}\]On considère la \(n\)e dérivée de \(g\). On sait que pour \(kj<n\), on obtient des termes nuls. Pour \(kj =n\), on obtient des termes constants et pour \(kj>n\) on obtient des termes de degré \(kj-n\). La dérivée est donc \[g_{n}^{(n)} (x)= \sum_{k\,=\,1}^{n-1}\sum_{j\,=\,0}^{\infty}\frac{(kj)(kj-1)(kj-2)\dots(kj-n+1)x^{kj-n}}{j\,!}\]pour chaque \(kj\geq n\). Lorsqu’on évalue la fonction en \(x=0\), tous les termes où \(kj>n\) deviennent nuls. Les seuls termes restants sont les termes constants, c’est-à-dire ceux où \(kj=n\). On a donc \[g_{n}^{(n)}(0) = \sum_{\underset{k\, \vert\, n}{k\,=\,1}}^{n-1}\frac{n(n-1)(n-2)\dots(n-n+1)}{\left(\frac{n}{k}\right)!}\]cette somme étant étendue aux diviseurs \(k\) de \(n\) (on utilise ici la notation \(k\, \vert\, n\) habituelle pour « \(k\) divise \(n\) »). En utilisant la définition de factorielle et le fait que \(k=1\) divise toujours \(n\), on peut réécrire l’expression précédente de manière plus élégante comme\[g_{n}^{(n)}(0) = \sum_{\underset{k\, \vert\, n}{k\, =\, 1}}^{n-1}\frac{n!}{\left(\frac{n}{k}\right)!} = 1 + \sum_{\underset{k\,\vert \, n}{k\,=\,2}}^{n-1}\frac{n!}{\left(\frac{n}{k}\right)!}\]Si \(n\) est premier, le seul et unique diviseur \(k\) de \(n\) plus petit ou égal à \(n-1\) est \(1\). La somme de droite est donc nulle ! Et on a bien \[g_{n}(0) = 1\]Si, d’autre part, \(n\) est composé, alors il existe au moins deux nombres \(k\) et \(r\) dans \(\left\{2,\ \dots \ , \, n-1\right\}\) qui divisent \(n\). On peut donc écrire \[g_{n}^{(n)}(0) \geq 1 + \frac{(kr)!}{(r)!}>1\]L’histoire ne dit pas si l’étudiant s’excuse auprès de la dame !

Références :

Dennis P. Walsh, Mathematics Magazine, Volume 80, Number 4, October 2007 , pp. 302-303(2)

David M. Bradley, Mathematics Magazine, Volume 82, Number 3, June 2009 , pp. 215-218(4)