Voici un billet pour lequel je suis assez content et dont j’avais commencé l’ébauche il y a déjà un petit moment et que j’ai terminé récemment après avoir eu en mains propres l’article de Thérond cité ci-bas. J’espère que vous apprécierez.
Le dernier théorème de Fermat, démontré par le mathématicien Andrew Wiles en 1995, nous dit qu’il n’existe pas de nombres entiers positifs non-nuls x, y, z tels que
pour des entiers n strictement supérieur à 2.
On s’intéresse d’abord aux solutions de l’équation lorsqu’elles sont possibles.
Le cas n = 2
On a
Lorsque n = 2, on retrouve comme solutions nos chers triplets pythagoriciens. On ne s’intéressera comme à l’habitude qu’aux solutions dites primitives, c’est-à-dire celles ne comportant pas de facteurs communs. Par exemple, le triplet
est bien une solution à l’équation, mais ce n’est pas une solution primitive, puisque 16, 30 et 34 ne sont pas premiers entre eux. En divisant par 2, on obtient
un triplet primitif. On désire générer tous les triplets primitifs. Notons d’abord que les trois nombres ne peuvent être pairs, puisqu’ils ne seraient pas premiers entre eux. Ils ne peuvent pas plus être tous les trois impairs. Le carré d’un impair étant un impair, on aurait la somme de deux impairs, à gauche, donc un nombre pair, et un impair à droite, ce qui est bien sûr impossible. Algébriquement, en posant
on obtient
ce qui impliquerait que 4 est un facteur de 3, ce qui est bien évidemment faux. Est-ce que z peut être pair avec x et y impairs ? En posanton obtient
ce qui impliquerait cette fois-ci que 4 est un diviseur de 2, ce qui est encore faux. Puisqu’en dernier lieu, il est impossible d’avoir x et y pairs et z impair, il faut donc que x ou y soit pair et les deux autres impairs. Sans restreindre la généralité, on peut choisir y pair et x et z impairs (au besoin, on n’a qu’à permuter x et y). En partant deon soustrait y2 de chaque côté
et on factorise la différence de carrés
On suppose que c soit le plus grand commun diviseur de
et
On posepour certains p et q premiers entre eux. On note au passage que p > q et qu’ils sont tous les deux impairs. Puisque
on a
Or, p et q sont premiers entre eux, alors ils doivent eux-mêmes être des carrés. On pose
Encore une fois on remarque que a > b et tous les deux sont impairs et premiers entre eux. Cela nous donne, pour x
puis en effectuant la sommeet la différence
on trouve les expressions respectivement pour z et y. Comme on cherche les triplets primitifs, il suffit de diviser tous les termes par le facteur commun c. Les triplets primitifs pour le cas où l’exposant est 2 sont donc donnés par
avec a et b tous les deux impairs et premiers entre eux et où a > b. Une variation plus souvent empruntée est celle-ci. On garde y pair et x et z impairs. Cependant, on soustrait cette fois-ci l’impair x2et on factorise
Comme y est pair et x et z impairs, on remarque que
sont tous des nombres entiers positifs. On a donc
On suppose que le plus grand commun diviseur des deux facteurs de droite est c. On pose
pour certains entiers p et q, avec ces p et q premiers entre eux et p > q. Cela donne en remplaçant
et comme p et q sont premiers entre eux, il doivent donc être eux-mêmes des carrés. On pose
On note encore une fois que a et b sont eux aussi premiers entre eux et a > b. En effectuant la sommeet la différence
on obtient des expressions respectivement pour z et x. On note aussi que puisque a et b sont premiers entre eux, ils ne peuvent pas être tous les deux pairs. Enfin, ils ne peuvent pas être tous les deux impairs, sans quoi x et z seraient pairs ce qui contredit notre hypothèse. On obtient aussi en remplaçant
Comme on cherche les triplets primitifs, il suffit de diviser tous les termes par le facteur commun c. Ainsi, alternativement, les triplets primitifs pour le cas où l’exposant est 2 sont donnés par
où a et b sont deux nombres entiers strictement positifs, avec a > b et a et b de parité opposée.
*** Les lecteurs aguerris auront remarqué que dans les deux cas, en supposant x, y et z premiers entre eux, on aura toujours c = 1. Dans le cas présent n = 2, dès que deux nombres parmi x, y ou z partagent un facteur, l’autre nombre partagera aussi ce facteur. Lorsqu’on parle de solutions primitives, on s’attend donc à ce que x, y et z ne partagent aucun facteur, même pris deux à deux. Ainsi, dans la deuxième solution, si c est le pgcd dealors il doit aussi diviser la somme
et la différence
de ces deux nombres. On n’a donc d’autres choix que de poser c = 1. Et dans la première solution, si c est le pgcd de
alors il doit aussi diviser la somme
et la différence
de ces deux nombres. On n’a donc d’autres choix ici que c = 1 ou 2. Or, comme on veut x impair et que
ce choix s’arrête sur 1. La démarche ne se voulait pas plus compliquée que nécessaire : elle avait pour but d’imiter celle empruntée pour les cas plus difficiles ci-dessous. Dans les solutions primitives où l’exposant est négatif vues plus bas, x, y et z peuvent partager un facteur lorsqu’ils sont pris deux à deux. ***
Les cas n = 1 et n = 0
Ce sont les cas triviaux. Les solutions àsont directes et il n’y a pas de solution à l’équation
puisque n’importe quelle base non-nulle élevée à l’exposant zéro donne toujours 1.
Les autres valeurs possibles pour n
Qu’en est-il si on s’autorise d’autres valeurs pour n ? Des valeurs rationnelles ? Irrationnelles ? Négatives ? Il se trouve, peut-être de manière surprenante, que le théorème tient pour des valeurs de n rationnelles plus grandes que 2. En admettant des valeurs rationnelles plus petites que 2, on trouve une infinité (dénombrable) de solutions mais dans toutes ces solutions l’exposant prend l’une ou l’autre de ces formes
ou
qui découlent respectivement des formes entières n = 1 et n = 2. Pour des valeurs de n irrationnelles, le théorème ne tient pas. Morgan [1] dans son article donne comme exemple :
Puisque
et
par le théorème des valeurs intermédiaires, il existe un n,
tel que
Et il est en effet possible de trouver une infinité (dénombrable) de ces valeurs irrationnelles. Pour davantage de détails, voir Morgan [1]. Le billet d’aujourd’hui s’intéresse cependant aux valeurs entières strictement négatives de l’exposant n. D’abord on remarque ceci qui est primordial. Pour les valeurs de n strictement négatives, on pose
où m est un entier strictement positif. L’équation
est donc équivalente dans ce cas à
ou encore
En mettant sur dénominateur commun et en effectuant l’additionpuis en effectuant le produit croisé on obtient
ou
c’est-à-dire une équation de la forme
pour laquelle le dernier théorème de Fermat nous assure qu’il n’y a des solutions que pour m entier inférieur ou égal à 2. D’une part, il n’y aura donc que deux cas à considérer : n = -1 et n = -2, et d’autre part, la démarche précédente nous permet d’établir une bijection (en simplifiant les facteurs communs s’il y a lieu) entre les solutions des exposants positifs et négatifs. L’exemple du début de l’article pour n = 2nous donnerait la solution primitive
et de manière analogue avec n = 1, la solution suivante
nous donnerait
On cherche cependant des formules pour générer ces triplets primitifs, à l’instar de la démarche entreprise pour le cas positif dans lequel l’exposant est 2.
Le cas n = -1
On a
ou de manière équivalente en vertu de ce qu’on vient de trouver ci-haut
En soustrayant xy de chaque côté
puis z2
et en factorisant le membre de gauche
on obtient
Enfin, en multipliant chaque côté par -1 (qu’on insère dans le deuxième facteur à gauche), on obtient cette jolie équation
On pose
ce qui fait
Soit t le plus grand commun diviseur de r et s. On divise par t2
Cela nous assure que les deux facteurs de gauche sont premiers entre eux. Et comme leur produit est égal à un carré, chaque facteur doit lui-même être un carré. On pose
On note au passage que u2 et v2 sont des carrés premiers entre eux et cela implique que u et v sont eux aussi premiers entre eux. En remplaçant, on a
ou de manière équivalente
duquel on tire
Comme, d’une part,
et
et, d’autre part,
et
on trouve, respectivement pour x,
puis en remplaçant
et pour y,
puis en remplaçant
Comme on cherche les solutions primitives, il suffit de diviser les trois expressions trouvées pour x, y et z par leur facteur commun t. Les triplets primitifs pour le cas où l’exposant est -1 sont donc donnés par
où u et v sont deux entiers strictement positifs premiers entre eux.
Le cas n = -2
En suivant partiellement Jean-Daniel Thérond [2], on a
ce qui est équivalent à
En mettant sur dénominateur commun et en additionnant, on obtient
puis en inversant
On pose cette fois-ci t comme le plus grand commun diviseur de x et y. On a donc pour un certain a et un certain b
ce qui fait
Or comme a et b sont premiers entre eux, on a que
et ainsi le dénominateur doit donc diviser t2. On a
pour un certain k. Ainsi,
et k est un carré ! On poseet on remplace
Cela nous assure que la somme entre parenthèses est bien un carré. En utilisant les résultats concernant les triplets pythagoriciens démontrés ci-haut, il nous est possible de poser
avec p et q deux entiers premiers entre eux et de parité opposée. L’égalité précédente devient donc
qui nous donne t
Finalement, puisqu’on avait au départ
en remplaçant t, a et b, on a
et pour z
Comme on cherche les triplets primitifs, on divise les trois expressions par le facteur commun n. Les triplets primitifs pour le cas où l’exposant est -2 sont donc donnés par
où p et q sont deux entiers strictement positifs avec p > q et p et q de paritié opposée.
[1] Frank Morgan, The College Mathematics Journal, Volume 41, Number 3, May 2010 , pp. 182-185(4)
[2] Jean-Daniel Thérond, L’enseignement Mathématique, Vol 14, 1968
Autres références :
G. H. Hardy et E. M. Wright (2008 pour la 6ième édition), An Introduction to the Theory of Numbers
Richard Courant, Herbert Robins et Ian Stewart (1996 pour la 2ième édition), What is Mathematics ?