Les fourmis d’Appolonius

Voici un distrayant problème posé sur l’excellent blogue Futility Closet.

An ant will always position itself so that it’s precisely twice as far from vinegar as from honey. If we put a dab of vinegar at A and a dab of honey at B and we release a troop of ants, what formation will they take up ?

On peut aborder le problème de manière encore plus générale. Quel est le lieu de points \(P\) tel que le rapport des distances entre le point \(P\) et les points \(A\) et \(B\) soit constant ? En d’autres mots, on cherche le lieu de points \(P\) tel que\[\frac{m\overline{PA}}{m\overline{PB}}\ = \ k\]ou de la même manière\[m\overline{PA}\ = \ k\cdot m\overline{PB}\]avec \(A\) et \(B\) donnés. La solution est triviale si \(k=1\) puisque le lieu de points est tout simplement la médiatrice de \(AB\). Si \(k\neq 1\), cependant, la solution est diablement moins évidente. Voyons. On peut toujours trouver un point \(C\) sur \(\overline{AB}\) qui satisfasse ladite condition.

Ici,\[m\overline{CA}\ = \ k\cdot m\overline{CB}\]On considère ensuite un point \(D\) hors de \(\overline{AB}\)

qui satisfasse la même condition.\[m\overline{DA}\ = \ k\cdot \overline{DB}\]Le théorème de la bissectrice nous indique que la bissectrice (ici, intérieure) de l’angle \(D\) partage le côté opposé dans le rapport des côtés de l’angle. Or, c’est exactement ce qu’on a ici, si bien que la bissectrice (intérieure) de l’angle \(D\) passe par \(C\).

Or, la bissectrice extérieure possède les mêmes propriétés.

Cela nous permet de trouver un autre point \(E\) qui satisfasse la condition. Les points \(C\) et \(E\), sur la droite \(AB\) (on dit que \(A\), \(B\), \(C\) et \(E\) sont colinéaires), tels que\[m\overline{CA} \ = \ k\cdot m\overline{CB}\]et \[m\overline{EA} \ = \ k\cdot m\overline{EB}\]sont fixes : ils ne sont déterminés que par \(A\), \(B\) (fixes) et le rapport \(k\). Leur position ne dépend pas de celle de \(D\) ! Et comme l’angle \(CDE\) est droit, le lieu décrit par \(D\) est donc un cercle de diamètre \(\overline{CE}\).

Appolonius de Perga est celui qui a proposé le premier cette définition alternative du cercle comme lieu de points.

La méthode de Cardan

Voici la méthode employée par Girolamo Cardano et son élève, Ludovico Ferrari, avec une notation contemporaine, pour résoudre des équations du troisième degré[1]. En partant de la forme la plus générale \[ax^{3}+bx^{2}+cx+d=0\]on divise par \(a\) de chaque côté afin d’obtenir \[x^{3}+\frac{b}{a}x^{2}+\frac{c}{a}x+\frac{d}{a}=0\]On effectue ensuite le changement de variable suivant \[x = y-\alpha\]ce qui fait \[\left(y-\alpha\right)^{3}+\frac{b}{a}\left(y-\alpha\right)^{2}+\frac{c}{a}\left(y-\alpha\right)+\frac{d}{a}=0\]En développant le cube et le carré \[y^{3}-3\alpha y^{2}+3\alpha^{2}y-\alpha^{3}+\frac{b}{a}\left(y^{2}-2\alpha y + \alpha^{2}\right) +\frac{c}{a}\left(y-\alpha\right)+\frac{d}{a}=0\]puis en distribuant\[y^{3}-3\alpha y^{2}+3\alpha^{2}y-\alpha^{3}+\frac{b}{a}y^{2}-\frac{2b\alpha}{a}y+\frac{b\alpha^{2}}{a}+\frac{c}{a}y-\frac{c\alpha}{a}+\frac{d}{a}=0\]et enfin en regroupant les termes semblables\[y^{3}+\frac{b}{a}y^{2}-3\alpha y^{2}+3\alpha^{2}y-\frac{2b\alpha}{a}y+\frac{c}{a}y+\frac{b\alpha^{2}}{a}-\frac{c\alpha}{a}+\frac{d}{a}-\alpha^{3}=0\] \[y^{3}+\left(\frac{b-3a\alpha}{a}\right)y^{2}+\left(\frac{3a\alpha^{2}-2b\alpha+c}{a}\right)y + \left(\frac{b\alpha^{2}-c\alpha+d-\alpha c^{3}}{a}\right)=0\]Comme on a définit \(x\) en termes de \(y\) et \(\alpha\), il nous est possible de poser \[\frac{b-3a\alpha}{a}=0\]et de trouver la valeur de \(\alpha\) qui ferait en sorte que le terme en \(y^{2}\) s’annule. On obtient donc \begin{align*}b-3a\alpha &=0 \\ \\ b &= 3a\alpha \\ \\ \frac{b}{3a}&=\alpha\end{align*}En remplaçant \(\alpha\) par cette expression, on a \[y^{3}+\left(\frac{b-3a\frac{b}{3a}}{a}\right)y^{2}+\left(\frac{3a\left(\frac{b}{3a}\right)^{2}-2b\left(\frac{b}{3a}\right)+c}{a}\right)y+\left(\frac{b\left(\frac{b}{3a}\right)^{2}-c\left(\frac{b}{3a}\right)+d-a\left(\frac{b}{3a}\right)^{3}}{a}\right)=0\]ce qui fait \[y^{3}+\left(\frac{0}{a}\right)y^{2}+\left(\frac{3ab^{2}}{9a^{3}}-\frac{2b^{2}}{3a^{2}}+\frac{c}{a}\right)y + \left(\frac{b^{3}}{9a^{3}}-\frac{bc}{3a^{2}}+\frac{d}{a}-\frac{ab^{3}}{27a^{4}}\right)=0\]\[y^{3}+\left(\frac{b^{2}}{3a^{2}}-\frac{2b^{2}}{3a^{2}}+\frac{c}{a}\right)y+\left(\frac{b^{3}}{9a^{3}}-\frac{bc}{3a^{2}}+\frac{d}{a}-\frac{b^{3}}{27a^{3}}\right)=0\]\[y^{3}+\left(\frac{3ac-b^{2}}{3a^{2}}\right)y + \left(\frac{2b^{3}+27a^{2}d-9abc}{27a^{3}}\right)=0\]Cette forme de l’équation cubique est appelée forme réduite de l’équation \[y^{3}+py+q=0\]avec \[p=\frac{3ac-b^{2}}{3a^{2}}, \quad q=\frac{2b^{3}+27a^{2}d-9abc}{27a^{3}}\]On procède par la suite à un deuxième changement de variable \[y = u + v\]ce qui fait \[\left(u+v\right)^{3}+p\left(u+v\right)+q=0\]En développant on obtient \[u^{3}+3u^{2}v+3uv^{2}+v^{3}+p\left(u+v\right)+q=0\]En réarrangeant les termes et en effectuant une mise en évidence simple on obtient \[u^{3}+v^{3}+3uv\left(u+v\right)+p\left(u+v\right)+q=0\]\[u^{3}+v^{3}+\left(3uv+p\right)\left(u+v\right)+q=0\]Comme on a exprimé y avec les deux variables u et v, on peut librement les choisir de telle sorte que\[3uv+p=0\]Cela a pour effet d’éliminer le terme en \(\left(u+v\right)\) dans \[u^{3}+v^{3}+\left(3uv+p\right)\left(u+v\right)+q=0\]afin d’obtenir \[u^{3}+v^{3}+q=0\]De \[3uv+p=0\]on tire \[uv=-\frac{p}{3}\]puis en élevant au cube \[u^{3}v^{3}=-\frac{p^{3}}{27}\]Enfin, comme \[3uv + p = 0\]cette équation \[u^{3}+v^{3}+\left(3uv+p\right)\left(u+v\right)+q=0\]devient \[u^{3}+v^{3}+q=0\]ou de façon équivalente \[u^{3}+v^{3}=-q\]On connait donc la somme \[u^{3}+v^{3}=-q\]
et le produit \[u^{3}v^{3}=-\frac{p^{3}}{27}\]de deux nombres. En isolant \(v^{3}\) dans la dernière équation, on obtient \[v^{3}=-\frac{p^{3}}{27u^{3}}\]puis en substituant dans l’équation de la somme \[u^{3}-\frac{p^{3}}{27u^{3}}+q=0\]En multipliant à gauche et à droite par \(u^{3}\) \[u^{6}-\frac{p^{3}}{27}+qu^{3}=0\]on obtient une équation quadratique en \(u^{3}\)\[\left(u^{3}\right)^{2}+qu^{3}-\frac{p^{3}}{27}=0\] La formule quadratique nous donne pour valeur de \(u^{3}\) \[\frac{-q\pm\sqrt{q^{2}-4(1)\left(-\frac{p^{3}}{27}\right)}}{2(1)}\]ce qui fait après mise en évidence de \(4\) sous la racine \[\frac{-q\pm\sqrt{4\left(\frac{q^{2}}{4}+\frac{p^{3}}{27}\right)}}{2}\]et donc \[-\frac{q}{2}\pm\sqrt{\left(\frac{q}{2}\right)^{2}+\left(\frac{p}{3}\right)^{3}}\]En utilisant la racine carré positive, on obtient \[u^{3}=-\frac{q}{2}+\sqrt{\left(\frac{q}{2}\right)^{2}+\left(\frac{p}{3}\right)^{3}}\] \[u = \sqrt[3]{-\frac{q}{2}+\sqrt{\left(\frac{q}{2}\right)^{2}+\left(\frac{p}{3}\right)^{3}}}\]Or comme, \[u^{3}+v^{3}=-q\]on a \[\left(\sqrt[3]{-\frac{q}{2}+\sqrt{\left(\frac{q}{2}\right)^2+\left(\frac{p}{3}\right)^{3}}}\right)^{3}+v^{3}=-q\]c’est-à-dire \[-\frac{q}{2}+\sqrt{\left(\frac{q}{2}\right)^{2}+\left(\frac{p}{3}\right)^{3}}+v^{3}=-q\]et donc \[v^{3}=-\frac{q}{2}-\sqrt{\left(\frac{q}{2}\right)^{2}+\left(\frac{p}{3}\right)^{3}}\] \[v=\sqrt[3]{-\frac{q}{2}-\sqrt{\left(\frac{q}{2}\right)^2+\left(\frac{p}{3}\right)^{3}}}\]Enfin, comme \[y = u+v\]on a \[y = \sqrt[3]{-\frac{q}{2}+\sqrt{\left(\frac{q}{2}\right)^{2}+\left(\frac{p}{3}\right)^{3}}} + \sqrt[3]{-\frac{q}{2}-\sqrt{\left(\frac{q}{2}\right)^{2}+\left(\frac{p}{3}\right)^{3}}}\]Ici, \(u^{3}\) et \(v^{3}\) possèdent chacun \(3\) racines cubiques. Cela fait donc un total de \(9\) combinaisons possibles. Or, l’équation initiale ne possède que \(3\) solutions (distinctes ou non). Il faut donc s’affairer à choisir et pairer correctement les bonnes racines. Si \[\left(\frac{q}{2}\right)^{2} + \left(\frac{p}{3}\right)^{3}\geq 0\]alors les racines cubiques seront réelles et bien définies. On obtient ainsi la solution réelle de l’équation. Et comme \[uv=-\frac{p}{3}\]c’est-à-dire que le produit \(uv\) est réel, on multiplie l’une et l’autre des racines précédentes par les racines cubiques complexes de l’unité \[\tau_{1}=-\frac{1}{2}+\frac{\sqrt{3}}{2}i\]et \[\tau_{2}=-\frac{1}{2}-\frac{\sqrt{3}}{2}i\]Si \(u_{0}\) et \(v_{0}\) sont les racines cubiques réelles, alors les solutions complexes seront données par \[\tau_{1}u_{0}+\tau_{2}v_{0}\]et \[\tau_{2}u_{0}+\tau_{1}v_{0}\]Si au contraire, \[\left(\frac{q}{2}\right)^{2}+\left(\frac{p}{3}\right)^{3}<0\]alors les racines cubiques de \(u^{3}\) et \(v^{3}\) sont complexes. Comme \(u\) et \(v\) sont interchangeables, on choisit donc arbitrairement une des racines cubiques de \(u^{3}\) et on sélectionne la bonne racine correspondante de \(v^{3}\) en utilisant le fait que \[uv =-\frac{p}{3}\]c’est-à-dire que notamment \[u =-\frac{p}{3v}\]Finalement, pour retrouver les solutions de l’équation initiale, il ne faut pas oublier d’effectuer le dernier changement de variable \[x = y-\frac{b}{3a}\]Cela conclut la solution algébrique d’une équation du troisième degré. Bien qu’il soit assez facile de trouver la racine carrée d’un nombre complexe sous la forme \(a+bi\), il est plutôt difficile de faire de même dans le cas d’une racine cubique. En effet, pour trouver une des racines cubiques d’un nombre complexe sous la forme \(a + bi\), il faudrait résoudre… une équation du troisième degré ! En outre, il faut une bonne dose d’intuition pour reconnaître que \[\sqrt[3]{10+\sqrt{108}}+\sqrt[3]{10-\sqrt{108}}=2\](en utilisant les deux racines cubiques réelles) ou encore que \[\sqrt[3]{2+i\sqrt{121}} + \sqrt[3]{2-i\sqrt{121}}=4\](en utilisant une des trois paires de racines cubiques complexes).

[1]Les résolutions des équations du troisième et quatrième degré, au niveau auquel elles sont introduites, sont souvent traitées dans les livres comme des problèmes triviaux suscitant peu d’intérêt, mais il reste que les ingénieuses techniques des algébristes italiens du XVIième siècle sont rarement présentées adéquatement. Le problème est plutôt amené sous la forme d’une anecdote historique. Pour un court compte rendu habilement écrit, incluant une savoureuse description des personnages colorés en scène, je vous suggère le sixième chapitre de Journey through Genius de William Dunham. Par ailleurs, une traduction avec notation récente de l’Ars Magna (Le grand Art) est aussi disponible chez Dover. Pas facile à lire, mais plutôt divertissant !

La chaîne de Steiner et Géogébra4

Géogébra4 nous permet désormais d’exporter des fichiers .GIF animés (génial !)

Voici une chaîne de 12 cercles de Steiner obtenue par inversion d’une figure régulière. La figure régulière (deux cercles concentriques et une chaîne de cercles isométriques tangents) et le cercle d’inversion ne sont pas affichés. Soyez patients, la figure est plutôt lourde, mais lorsqu’elle est chargée, le résultat est satisfaisant.

Le choix du premier des douze cercles de la chaîne est indifférent lorsque la chaîne se referme comme c’est le cas ici (porisme de Steiner). Sont aussi affichés sur la figure le cercle des points de tangence entre les cercles de la chaîne (en pointillés verts) et l’ellipse des centres des cercles de la chaîne (en pointillés rouges). Notez que les foyers de l’ellipse correspondent aux centres des grand et petit cercles initiaux.