Nombres premiers et collègue extraordinaire…

Tout le monde n’a pas la chance que j’ai d’avoir un collègue aussi extraordinaire. Un collègue qui vous surprend toujours avec des trucs curieux et formidables. La semaine passée, Monsieur C. me dit sur l’heure du dîner :

Je suis tombé sur quelque chose de vraiment formidable. Choisis un grand nombre premier ( “grand nombre premier” voulant dire plus grand que \(3\)). Élève le au carré. Ajoute \(11\). Le reste de la division par \(24\) est \(12\). Pourquoi ça fonctionne ?

\(13\) est un nombre premier.

Le carré de \(13\) est \(169\).

\[169 + 11 = 180\]

Et \(180\) divisé par \(24\) donne \(7\) reste \(12\). Ah !

Pourquoi en effet. Si vous êtes comme moi, vous arrêterez de lire ce billet et vous plancherez sur ce problème.

Considérons un de ces grands nombres premiers \(p>3\).

Le texte nous dit qu’on peut trouver un \(k \in \mathbb{N}\) tel que \[p^{2}+11 = 24k + 12\]ou, en d’autres mots, \[p^{2}-1=24k\]

Il suffit de montrer que \[p^{2}-1\]est divisible par \(24\). Mince affaire ! En factorisant la différence de carrés, on obtient \[(p-1)(p+1)\]Comme \(p\) est un nombre premier plus grand que \(3\), il est impair. \(p-1\) et \(p+1\), l’entier immédiatement inférieur et l’entier immédiatement supérieur à \(p\), sont donc pairs. Le membre de gauche est donc divisible par \(4\). Mais ce n’est pas tout. Soit \(p-1\), soit \(p+1\) doit en réalité non seulement être divisible par \(2\) mais même par \(4\) car ce sont deux nombres pairs consécutifs. Le produit \((p-1)(p+1)\) est donc divisible par \(8\). Cela n’explique pas pourquoi il le serait par \(24\), il faut trouver un facteur \(3\).

Mais bien sûr ! Les nombres \(p-1\), \(p\) et \(p+1\) sont trois nombres consécutifs. Un de ces nombres est donc nécessairement divisible par \(3\). Cela ne peut pas être \(p\) car on a choisit \(p>3\). Ainsi, soit \(p-1\), soit \(p+1\) est divisible par \(3\). Un nombre divisible par \(8\) et par \(3\) est divisible par \(24\). Voilà !

Mise en garde riemannienne

J’aurais bien aimé voir ce petit résultat de Bernhard Riemann dans mon cours de calcul intégral au cégep.

La mise en garde concerne la convergence des séries infinies.  Riemann utilise, comme exemple, la série bien connue de Leibniz : \[\frac{\pi}{4} = 1-\frac{1}{3}+\frac{1}{5}-\frac{1}{7}+\frac{1}{9}-\frac{1}{11}+\frac{1}{13}-\frac{1}{15}+\frac{1}{17}-\frac{1}{19}+\frac{1}{21}-\ \dots\]Il décide de permuter candidement les termes.  Il somme les deux premiers termes positifs puis le premier terme négatif.  Il ajoute ensuite les deux termes positifs suivants puis le terme négatif suivant.  Et ainsi de suite.  Il obtient donc la série :\[\frac{\pi}{4} = 1+\frac{1}{5}-\frac{1}{3}+\frac{1}{9}+\frac{1}{13}-\frac{1}{7}+\frac{1}{17}+\frac{1}{21}-\frac{1}{11}+ \ \dots\]En groupant les termes trois à trois,\[\frac{\pi}{4} = \left(1+\frac{1}{5}-\frac{1}{3}\right)+\left(\frac{1}{9}+\frac{1}{13}-\frac{1}{7}\right)+\left(\frac{1}{17}+\frac{1}{21}-\frac{1}{11}\right) + \ \dots\]il constate que les sommes partielles sont de la forme \[\frac{1}{8n-7} + \frac{1}{8n-3}-\frac{1}{4n-1}\]avec \(n \in \left\{1,\ 2, \ 3, \ 4, \ 5, \ \dots\right\}\). Il peut évidemment additionner ces trois termes après avoir mis sur dénominateur commun et obtient \[\frac{24n-11}{\left(8n-7\right)\left(8n-3\right)\left(4n-1\right)}\]Mais comme \(n\) est un entier positif, il est facile de voir que le numérateur et le dénominateur seront eux-aussi positifs.  Le quotient est donc un nombre positif.  Puisque \[\frac{24n-11}{\left(8n-7\right)\left(8n-3\right)\left(4n-1\right)}\geq 0\]Riemann pose par la suite l’inégalité suivante \[\frac{\pi}{4} = \left(1+\frac{1}{5}-\frac{1}{3}\right)+\left(\frac{1}{9}+\frac{1}{13}-\frac{1}{7}\right)+\ \dots \ \geq \left(1+\frac{1}{5}-\frac{1}{3}\right) + 0 + 0 + \ \dots\]Où est le problème ? Sachant que \[\left(1 + \frac{1}{5}-\frac{1}{3}\right) + 0 + 0 + \ \dots \ = \frac{13}{15} \approx 0,\!8666\]et que \[\frac{\pi}{4} \approx 0,\!7854\]il s’agit là d’un résultat fort surprenant !  Riemann a changé la somme de la série en ne faisant que changer l’ordre des termes ! Voilà donc quelque chose de bien embêtant.  Pire !  Il montre plus tard qu’on peut faire converger la série vers une somme arbitrairement choisie !

La série de Leibniz est une série convergente, mais pas absolument convergente.  On dit qu’elle est semi-convergente.  Une série peut contenir des termes négatifs, comme c’est le cas ici (série alternée).  Pour être absolument convergente, il faut que la série des valeurs absolues des termes soit convergente.  En d’autres mots, la série \[\sum_{i=0}^{\infty}u_{i}\]est absolument convergente si la série \[\sum_{i=0}^{\infty}\left|u_{i}\right|\]est convergente.

La série des valeurs absolues de la série de Leibniz est divergente. On pose \[1 +\frac{1}{3}+\frac{1}{5} + \frac{1}{7} + \frac{1}{9} + \ \dots \ \geq \ \frac{1}{2} + \frac{1}{4} + \frac{1}{6} + \frac{1}{8} + \frac{1}{10} + \ \dots \]et après mise en évidence, on retrouve la série harmonique, bien connue pour sa divergence\[1 +\frac{1}{3}+\frac{1}{5} + \frac{1}{7} + \frac{1}{9} + \ \dots \ \geq \ \frac{1}{2} \left(1 + \frac{1}{2} + \frac{1}{3} + \frac{1}{5} + \frac{1}{5} + \ \dots\right) \]Dirichlet montra plus tard que changer l’ordre des termes d’une série absolument convergente ne change pas sa somme.

Bonus : La divergence de la série harmonique.

Nicole Oresme (1325 – 1382) a fournit une très belle preuve de la divergence de la série harmonique.  C’était en 1350, l’âge de pierre des mathématiques européennes modernes, bien avant (on parle ici de 300 ans) celles des Bernoulli.  Sa preuve est aussi, à mon avis, beaucoup plus claire.

Il construit d’abord cette suite d’inégalités \begin{align*}1 + \frac{1}{2}&>\frac{1}{2} + \frac{1}{2} = 1 \\ \\ 1 + \frac{1}{2} + \left(\frac{1}{3} +\frac{1}{4}\right) &> 1+ \left(\frac{1}{4}+\frac{1}{4}\right)=\frac{3}{2} \\ \\ 1 + \frac{1}{2} +\frac{1}{3} + \frac{1}{4} + \left(\frac{1}{5} + \frac{1}{6} + \frac{1}{7} +\frac{1}{8}\right)&>\frac{3}{2} + \left(\frac{1}{8}+\frac{1}{8}+\frac{1}{8}+\frac{1}{8}\right) = \frac{4}{2} \\ \\ 1 + \frac{1}{2} + \ \dots \ + \frac{1}{8} + \left(\frac{1}{9} + \frac{1}{10} + \ \dots \ + \frac{1}{16}\right) &> \frac{4}{2}+\left(\frac{1}{16} + \ \dots \ + \frac{1}{16}\right) = \frac{5}{2} \\ \\ &\dots \end{align*}et conclut que \[1 + \frac{1}{2} +\frac{1}{3} + \ \dots \ + \frac{1}{2^{k}} > \frac{k+1}{2}\]Cela nous assure que la série dépassera toujours une quantité aussi grande que désirée (il suffit de choisir correctement \(k\)).

Reférence : John Derbyshire (2003), Prime Obsession

William Dunham (2008), The Calculus Gallery

Équation diophantienne du premier degré

Une équation diophantienne est une équation dont les coefficients sont des nombres entiers et dont les solutions recherchées sont également entières. Comme d’autres résultats d’arithmétique ou de théorie des nombres, sous la façade simpliste des équations diophantiennes se cachent des résultats d’une étonnante complexité.

Carl Friedrich Gauss, le prince des mathématiciens, disait, à propos :

« Leur charme particulier vient de la simplicité des énoncés jointe à la difficulté des preuves. »

C’est tout dire ! Cela explique peut-être, mais c’est dommage, pourquoi nous n’étudions pas ce genre d’équations au secondaire ni au cégep (si ma mémoire est bonne). Rappelons seulement, avant de commencer, deux choses :  tout entier peut être décomposé en un produit de facteurs premiers et cette décomposition est unique. Ensuite, si\[ab=cd\]et que \(a\) et \(c\) sont premiers entre eux (en d’autres mots, le pgcd de \(a\) et de \(c\) est \(1\)), alors \(a\) divise \(d\) et \(c\) divise \(b\). Par exemple, avec \[a=2, \ b=15, \ c=5, \ d=6\]on a bien \[\text{pgcd}(2, \ 5) = 1\]et on obtient\[2\cdot15=5\cdot 6\]Or \(2\) divise bien \(6\) et \(5\) divise bien \(15\). Nous allons considérer l’équation du premier degré suivante\[ax + by =c\]dans laquelle \(a\), \(b\) et \(c\) sont des entiers. On cherche toutes les solutions \(x\) et \(y\) entières. Une première chose nous apparait évidente : si \(a\) et \(b\) ne sont pas premiers entre eux, autrement dit, si le pgcd de \(a\) et de \(b\) est autre chose que \(1\), alors ce pgcd doit diviser \(c\), sans quoi on ne trouvera pas de solution. Par exemple, l’équation\[3x + 15y = 23\]n’admet pas de solution entière, puisque\[\text{pgcd}(3,\ 15) = 3\]et donc \[3(x + 5y) = 23\]mais \(23\) n’est pas divisible par \(3\). Par contre, l’équation \[3x + 15 = 21\]admet des solutions entières, puisque \(21\) est divisible par \(3\). On peut alors se ramener à l’équation plus simple\[x + 5y = 7\]en divisant chaque côté par \(3\). On trouve une solution assez triviale\[x=2, \ y = 1\]mais il en existe bien d’autres.  On suppose donc que \(a\) et \(b\) soient premiers entre eux dans\[ax + by = c\]On peut alors trouver un couple solution, appelons le \[(x_{0}, \ y_{0})\]tel que \[ax_{0} + by_{0} = c\]On soustrait la deuxième équation de la première\[ax-ax_{0} + bx-bx_{0} = c-c\]ce qui fait, après les mises en évidence \[a\left(x-x_{0}\right) + b\left(y-y_{0}\right) = 0\]On obtient par la suite\[a\left(x-x_{0}\right) =-b\left(y-y_{0}\right)\]ou\[a\left(x-x_{0}\right)=b\left(y_{0}-y\right)\]Comme \(a\) et \(b\) sont premiers entre eux, \(a\) doit diviser \(y_{0}-y\).  On peut donc trouver un entier \(k\) tel que\[ak = y_{0}-y\]Et pour la même raison \(b\) doit diviser \(x-x_{0}\).  On trouve donc un entier \(k’\) tel que \[bk’ = x-x_{0}\]En remplaçant \(y_{0}-y\) et \(x-x_{0}\) dans l’équation précédente, on obtient\[abk’ = bak\]En divisant par \(ab\) de chaque côté, on a \[k’ = k\]Bien ! En posant \[k=k’=n\]on trouve\begin{align*}bn&=x-x_{0} \\\ \\ an&=y_{0}-y\end{align*}et en isolant les variables considérées \begin{align*}x&=x_{0} + bn \\ \\ y&=y_{0}-an\end{align*}on a enfin des expressions qui expriment l’infinité de solutions entières en fonction de \(n\) avec \(n \in \mathbb{Z}\). En reprenant notre exemple, \[x + 5y = 7\]pour lequel on avait déjà trouvé une solution, on a \[a = 1,\ b=5,\ x_{0}=2,\ y_{0}=5\]On peut donc exprimer l’infinité de solutions comme\begin{align*}x&=2+5n \\ \\ y&=1-n\end{align*}avec \(n \in \mathbb{Z}\). Essayez ! Ça fonctionne !  Je vous conseille d’entrer quelques expressions dans Wolframalpha (c’est ce qui a piqué ma curiosité).  Lorsque des solutions entières existent, Wolframalpha fournit les équations qui les génèrent.