Le théorème de Ceva

Le théorème de Ceva concerne les segments reliant sommets et côtés opposés dans les triangles.

Le théorème de Ceva…

Considérons le triangle \(ABC\) suivant.

Plaçons \(P\) sur \(\overline{BC}\), \(Q\) sur \(\overline{AC}\) et \(R\) sur \(\overline{AB}\). Les segments \(AP\), \(BQ\) et \(CR\) se rencontrent en \(S\) si et seulement si \[\frac{m\overline{AR}}{m\overline{RB}}\cdot \frac{m\overline{BP}}{m\overline{PC}}\cdot \frac{m\overline{CQ}}{m\overline{QA}} = 1\]Il existe plusieurs démonstrations différentes de ce résultat. Traçons l’unique parallèle à \(AC\) passant par \(B\). Prolongeons les segments \(AP\) et \(CR\) de telle sorte qu’ils coupent la parallèle respectivement en \(D\) et \(E\). Nous avons à notre disposition une armée de triangles semblables. Il suffit de choisir les bonnes combinaisons.

  • 1. Les angles \(BDP\) et \(CAP\) sont des angles alternes-internes isométriques formés par des parallèles. Les angles \(APC\) et \(DPB\) sont isométriques puisqu’ils sont opposés par le sommet. Les triangles \(APC\) et \(DPB\) sont donc semblables par le cas de similitude AA. Grâce à cette similitude, on tire la proportion suivante \[\frac{m\overline{BP}}{m\overline{PC}}=\frac{m\overline{BD}}{m\overline{CA}}\]
  • 2. Les angles \(RCA\) et \(REB\) sont des angles alternes-internes isométriques formés par des parallèles. Les angles \(CRA\) et \(ERB\) sont isométriques puisqu’ils sont opposés par le sommet. Les triangles \(CRA\) et \(ERB\) sont donc semblables par le cas de similitude AA. Grâce à cette similitude, on tire la proportion suivante \[\frac{m\overline{AR}}{m\overline{RB}}=\frac{m\overline{CA}}{m\overline{EB}}\]
  • 3. Les angles \(SCQ\) et \(SEB\) sont des angles alternes-internes isométriques formés par des parallèles (déjà montré). Les angles \(QSC\) et \(BSE\) sont isométriques puisqu’ils sont opposés par le sommet. Les triangles \(QSC\) et \(BSE\) sont donc semblables par le cas de similitude AA. Grâce à cette similitude, on tire la proportion suivante \[\frac{m\overline{CQ}}{m\overline{EB}}=\frac{m\overline{QS}}{m\overline{BS}}\]
  • 4. Enfin, les angles \(SAQ\) et \(SDB\) sont des angles alternes-internes isométriques formés par des parallèles (déjà montré). Les angles \(ASQ\) et \(DSB\) sont isométriques puisqu’ils sont opposés par le sommet. Les triangles \(ASQ\) et \(DSB\) sont donc semblables par le cas de similitude AA. Grâce à cette similitude, on tire la proportion suivante \[\frac{m\overline{AQ}}{m\overline{DB}}=\frac{m\overline{QS}}{m\overline{BS}}\]

Grâce à 3 et 4, on tire \[\frac{m\overline{CQ}}{m\overline{EB}}=\frac{m\overline{AQ}}{m\overline{DB}}\]qu’on peut aussi écrire comme \[\frac{m\overline{CQ}}{m\overline{AQ}}=\frac{m\overline{EB}}{m\overline{DB}}\]En multipliant les trois rapports \[\frac{m\overline{BP}}{m\overline{PC}}\cdot \frac{m\overline{AR}}{m\overline{RB}}\cdot \frac{m\overline{CQ}}{m\overline{AQ}}\]et en utilisant le dernier résultat ainsi que les résultats 1 et 2, on obtient \[\frac{m\overline{BD}}{m\overline{CA}}\cdot \frac{m\overline{CA}}{m\overline{EB}}\cdot \frac{m\overline{EB}}{m\overline{BD}}=1\]ce qui nous permet d’écrire finalement \[\frac{m\overline{AR}}{m\overline{RB}}\cdot \frac{m\overline{BP}}{m\overline{PC}}\cdot \frac{m\overline{CQ}}{m\overline{QA}}=1\]Il reste à fournir la preuve de la réciproque.

… et sa réciproque

Supposons que les segments \(AP\) et \(BQ\) se rencontrent en \(S\) et plaçons \(R\) sur \(\overline{AB}\) de telle sorte que \[\frac{m\overline{AR}}{m\overline{RB}}\cdot \frac{m\overline{BP}}{m\overline{PC}}\cdot \frac{m\overline{CQ}}{m\overline{QA}} = 1\]Traçons \(\overline{CS}\) et prolongeons \(\overline{CS}\) jusqu’à \(\overline{AB}\). \(CS\) coupe \(\overline{AB}\) en \(R^{\prime}\).

Or, si les segments \(AP\), \(BQ\) et \(CR^{\prime}\) sont concourants, alors, par le Théorème de Ceva (celui-là même que l’on vient de prouver), on trouve \[\frac{m\overline{AR^{\prime}}}{m\overline{R^{\prime}B}} \cdot \frac{m\overline{BP}}{m\overline{PC}}\cdot \frac{m\overline{CQ}}{m\overline{QA}} = 1\]Cependant, en rappelant notre hypothèse, \[\frac{m\overline{AR}}{m\overline{RB}}\cdot \frac{m\overline{BP}}{m\overline{PC}}\cdot \frac{m\overline{CQ}}{m\overline{QA}}=1\]cela implique que \[\frac{m\overline{AR^{\prime}}}{m\overline{R^{\prime}B}} = \frac{m\overline{AR}}{m\overline{RB}}\]Et en additionnant \(1\) de chaque côté… \[\frac{m\overline{AR^{\prime}}}{m\overline{R^{\prime}B}}+1 = \frac{m\overline{AR}}{m\overline{RB}}+1\]on obtient \[\frac{m\overline{AR^{\prime}}}{m\overline{R^{\prime}B}}+\frac{m\overline{R^{\prime}B}}{m\overline{R^{\prime}B}}= \frac{m\overline{AR}}{m\overline{RB}}+\frac{m\overline{RB}}{m\overline{RB}}\]et donc \[\frac{m\overline{AR^{\prime}}+m\overline{R^{\prime}B}}{m\overline{R^{\prime}B}}= \frac{m\overline{AR}+m\overline{RB}}{m\overline{RB}}\]On peut réécrire les numérateurs \[\frac{m\overline{AB}}{m\overline{R^{\prime}B}}=\frac{m\overline{AB}}{m\overline{RB}}\]afin de conclure \[m\overline{R^{\prime}B} = m\overline{RB}\]c’est-à dire que \(R^{\prime}\) et \(R\) sont confondus. La réciproque est prouvée.

Les points \(P\), \(Q\) et \(R\) ne sont pas nécessairement sur les côtés du triangles : ils peuvent se trouver sur les prolongements des côtés, tel qu’illustré dans le figure suivante :

On trace la parallèle à \(AC\) passant par \(B\) de la même façon afin d’obtenir

Tout le raisonnement ci-haut reste valide.

Le théorème de Ceva peut se trouver très utile lorsque vient le temps de fournir la preuve que des segments dans un triangle se rencontrent en un point. Dans ce billet et ce celui-ci on prouve que les médianes, les hauteurs et les bissectrices d’un triangle sont concourantes. Nous allons revisiter ces preuves avec le théorème de Ceva. Il s’avère que le travail sera beaucoup moins fastidieux.

Les médianes

Dans un triangle \(ABC\), on trace les médianes \(AD\), \(BE\) et \(CF\). Par définition même de médiane, on sait que \[m\overline{AF}=m\overline{FB}, \quad m\overline{BD}= m\overline{DC}, \quad m\overline{CE}=m\overline{EA}\]Il va sans dire que l’on trouve facilement \[\frac{m\overline{AF}}{m\overline{FB}} \cdot \frac{m\overline{BD}}{m\overline{DC}} \cdot \frac{m\overline{CE}}{m\overline{EA}} = 1\]et par le Théorème de Ceva, on peut affirmer que les médianes sont concourantes en \(P\).

Les hauteurs

Dans le triangle \(ABC\), on trace les hauteurs \(AD\), \(BE\) et \(CF\).

Les triangles \(BFC\) et \(ADB\) sont tous deux rectangles et partagent l’angle \(FBD\). On peut donc affirmer qu’ils sont semblables par le cas de similitude AA. On tire cette proportion \[\frac{m\overline{BF}}{m\overline{DB}}=\frac{m\overline{BC}}{m\overline{BA}}\]Les triangles \(AEB\) et \(AFC\) sont tous deux rectangles et partagent l’angle \(FAE\). On peut donc affirmer qu’ils sont semblables par le cas de similitude AA. On tire cette proportion \[\frac{m\overline{AE}}{m\overline{FA}}=\frac{m\overline{BA}}{m\overline{AC}}\]Les triangles \(CDA\) et \(CEB\) sont tous deux rectangles et partagent l’angle \(DCE\). On peut donc affirmer qu’ils sont semblables par le cas de similitude AA. On tire cette proportion \[\frac{m\overline{CD}}{m\overline{EC}}=\frac{m\overline{AC}}{m\overline{BC}}\]Il suffit de multiplier ces trois égalités afin d’obtenir \[\frac{m\overline{BF}}{m\overline{DB}}\cdot \frac{m\overline{AE}}{m\overline{FA}}\cdot \frac{m\overline{CD}}{m\overline{EC}}=\frac{m\overline{BC}}{m\overline{BA}}\cdot \frac{m\overline{BA}}{m\overline{AC}}\cdot \frac{m\overline{AC}}{m\overline{BC}}=1\]Par le théorème de Ceva, on est en mesure d’affirmer que les hauteurs sont concourantes en \(P\).

Les bissectrices

Dans le triangle \(ABC\), on trace les bissectrices \(AD\), \(BE\), \(CF\).

Dans un triangle, les bissectrices divisent toujours le côté opposé en deux segments proportionnels aux côtés de l’angle. Il suffit donc de tirer, avec, respectivement, les bissectrices \(CF\), \(AD\) et \(BE\), \[\frac{m\overline{AF}}{m\overline{FB}}=\frac{m\overline{AC}}{m\overline{BC}}, \quad \frac{m\overline{BD}}{m\overline{DC}}=\frac{m\overline{AB}}{m\overline{AC}}, \quad \frac{m\overline{CE}}{m\overline{EA}}=\frac{m\overline{BC}}{m\overline{AB}}\]et donc en multipliant \[\frac{m\overline{AF}}{m\overline{FB}}\cdot \frac{m\overline{BD}}{m\overline{DC}}\cdot \frac{m\overline{CE}}{m\overline{EA}}=\frac{m\overline{AC}}{m\overline{BC}}\cdot \frac{m\overline{AB}}{m\overline{AC}}\cdot \frac{m\overline{BC}}{m\overline{AB}}=1\]Par le théorème de Ceva, on peut donc affirmer que les trois bissectrices sont concourantes en \(P\).

Référence : Alfred S. Posamentier et Charles T. Salkind (1996), Challenging Problems In Geometry

Citation

On apprenait récemment la mort regrettable de Martin Gardner. Le personnage n’ayant pas besoin de présentation, voici une réflexion écrite en 1978 ou peut-être avant (et donc, bien entendu, avant les disques compacts, DVD et autres supports numériques à grande capacité). Cette citation fait suite, en quelque sorte, à la dernière citation et aux commentaires qu’elle a suscités.

Un extraterrestre nous visite sur la Terre. Afin de recueillir de l’information sur notre planète et ceux qui l’habitent, le visiteur de l’espace désire repartir avec une collection complète de l’Encyclopaedia Britannica. Cependant, son vaisseau spatial est trop petit pour contenir les nombreux volumes de l’encyclopédie ! Il décide donc d’encoder le texte complet en binaire, en utilisant le code ASCII. Il obtient une très longue série de 1 et de 0. Il ajoute un zéro au début de cette série, ainsi qu’une virgule. Notre extraterrestre vient d’encoder tout le savoir de l’Humanité dans un nombre rationnel compris entre zéro et un. Tout ce qui lui reste à faire, avec sa technologie extraterrestre très avancée, est de marquer finement une barre de métal d’un mince trait qui sépare la barre de métal en exactement deux parties dont le rapport est égal au nombre rationnel en question !

Ces probabilités incompréhensibles…

Les probabilités sont riches en résultats mystifiants et contre-intuitifs. Et tous ces résultats sont à notre portée, tels quels, sans artifice. Imaginez alors lorsqu’on « arrange » les nombres dans un problème de probabilités (un peu comme, en deuxième secondaire, lorsqu’on demande aux élèves de calculer l’aire et la circonférence d’un cercle de rayon \(2\) et qu’ils obtiennent, incrédules, le même nombre) cela peut devenir particulièrement troublant pour l’esprit.

Exemple :

On lance un dé régulier à six faces \(11\) fois. Quelle est la probabilité d’obtenir un six exactement une fois dans cette séquence de \(11\) lancers ?

À chaque lancer, la probabilité d’obtenir un six est évidemment \(\frac{1}{6}\). À chaque lancer, la probabilité d’obtenir autre chose qu’un \(6\), soit un \(1\), \(2\), \(3\), \(4\) ou \(5\), est \(\frac{5}{6}\). Il faut obtenir une fois un six et dix fois autre chose. Il y a \(11\) façons différentes d’obtenir un et un seul six (et dix fois autre chose) dans cette séquence. Les \(11\) séquences possibles sont les suivantes :

ABBBBBBBBBB    BABBBBBBBBB    BBABBBBBBBB

BBBABBBBBBB    BBBBABBBBBB   BBBBBABBBBB

BBBBBBABBBB    BBBBBBBABBB    BBBBBBBBABB

BBBBBBBBBAB   BBBBBBBBBBA

A est correspond à {Obtenir un \(6\)} et B correspond à {Obtenir autre chose qu’un \(6\)}.

Les mathématiciens possèdent un outil, le coefficient binomial, qui leur permet d’obtenir ce résultat sans dénombrer tous les résultats possibles. Ils savent qu’il y a \(11\) façons d’obtenir un six parmi \(11\) lancers puisque \[\binom{11}{1} = \frac{11!}{1!\ (11-1)!} = 11\]La probabilité d’obtenir exactement un six est donc \begin{align*}p\left(\text{un six}\right) &= 11 \cdot \left(\frac{5}{6}\right)^{10}\cdot \left(\frac{1}{6}\right)^{1} \\ \\ &= \frac{107\,421\,875}{362\,797\,056} \\ \\ &\approx 0,\!29609\end{align*}Donc un peu moins de \(30\%\). Soit.

On lance un dé régulier à six faces \(11\) fois. Quelle est la probabilité d’obtenir un six exactement deux fois dans cette séquence de \(11\) lancers ?

La probabilité d’obtenir deux six est sûrement moindre. Plus on doit obtenir de 6, moins la probabilité est grande : comme preuve, la probabilité d’obtenir onze six est minuscule (c’est environ \(0,\!000000002756\)) ! Enfin… La probabilité d’obtenir un six à chaque lancer n’a pas changée : c’est \(\frac{1}{6}\). La probabilité d’obtenir autre chose qu’un six, à chaque lancer, elle aussi n’a pas changée : c’est \(\frac{5}{6}\). Il faut obtenir deux fois un six et neuf fois autre chose dans cette séquence. Il y a aussi \[\binom{11}{2}=\frac{11!}{2!\ (11-2)!}=55\]séquences différentes possibles qui nous permettent d’obtenir deux six parmi \(11\) lancers. Les voici :

A est correspond à {Obtenir un \(6\)} et B correspond à {Obtenir autre chose qu’un \(6\)}.

La probabilité d’obtenir exactement deux six dans cette séquence est donc \begin{align*}p\left(\text{deux six}\right) &= 55 \cdot \left(\frac{5}{6}\right)^{9}\cdot \left(\frac{1}{6}\right)^{2} \\ \\ &= \frac{107\,421\,875}{362\,797\,056} \\ \\ &\approx 0,\!29609\end{align*}La probabilité d’obtenir un six est égale à la probabilité d’obtenir deux six, soit un peu moins de \(30\%\). Surprenant !